L’été la boite noire se fait voûte, tu shootes autant dehors que dedans. Juillet. Là ce sera dedans à seize heures pour ces portraits qu’on t’a commandé: les gens de l’ombre, scénographes, éclairagistes…. Tu es venu par les Baux sur ta moto, la même qui te tuera deux ans plus tard. Tu seras mort sur une voie rapide du côté de Tourcoing pour une avant-première: un Brecht. Tu n’es plus arrivé. Sur le coup, oui. Ils n’auront pas de photographies ce jour-là. Les tiennes captaient le mouvement et s’arrangeaient de l’ombre. On a dit que tu donnais tes cours le matin de l’accident — ta double vie compatible avec les ouvertures de diaphragmes et les vitesses d’obturation, pas avec la fatigue. Tu enseignais les mathématiques à Ivry. Est-ce que tu dormais sur cette route du côté de Tourcoing quand tu as dérapé?
Ce jour de juillet pour le portrait, sans doute à cause de la confiance qu’il faut installer avec le sujet, tu te livres un peu. Tu dis: en collège un trois-quart-temps, j’enseigne les mathématiques. Que la photographie est là depuis toujours, ajoutes-tu, en changeant d’objectif, un fixe à grande ouverture: ce sera plus doux. Après tu parles des fractales… tu demandes à quelle échelle on travaille et si on garde les maquettes: ces histoires de changement d’échelle ça t’intéresse vraiment? Tu cherches comment assouplir la pause: il ne faut pas avoir peur, c’est un portrait de « l’âme », pas une photo biométrique finiras-tu par dire pour obtenir un sourire.
D’abord tu n’as pas de visage. Tu installes le pied, et tu fixes l’appareil sur le pied, casque sur la tête. C’est un truc de photographe de plateau cette urgence à mettre en place puis à débarrasser le plancher. Entre les deux ce calme qu’il faut trouver. La plupart du temps ça va vite, en une heure maxi ça doit-être plié.
Quand tu retires ton casque tes cheveux sont mouillés, tu as chaud, tu es rouge: bonjour. Tu dis: là sur la chaise, dans le décor ce sera bien et qu’on voie un peu de l’espace. L’herbe jaunie sent fort le foin tu en demandes la matière: du raphia teint. Le ciel peint suspendu c’est lui qui dégage l’odeur animale? il fait trente cinq degré à l’ombre et dans la cage de scène on crève. La colle de peau suinte: peau de lapin.
Tu prends la mesure de la lumière. Tu dis: ces services ça ne va pas le faire, on n’est pas dans une salle de bain. Tu le dis net, tu n’as pas de temps à perdre: si on peut avoir accès au jeu d’orgue?
L’œil rivé au viseur tu poses encore d’autres questions dans la lumière qui se réchauffe. Puis c’est le silence et le bruit du déclencheur qui se répète.
avais timidité à lancer cette piste sachant comment oeuvre et famille proches
Belle ouverture en tout cas . Merci (et complexe la consigne ).
Grand merci Nathalie Holt d’ouvrir la voie de cet « Everest-exercice ». J’avais beau relire et réécouter François Bon, rien n’était clair. Vous lire ouvre les horizons, incite, invite, appelle à vous suivre dans la re fabrication de la fiction. Merci, merci Nathalie et aussi pour l’odeur même de la colle à la peau de lapin.
je crois qu’il y a plusieurs entrées dans cette consigne. Besoin d’aller vite ce matin (un peu comme le photographe) Je tenterai un autre angle … merci beaucoup Ugo
forcé de lire : tu as gagné la course (?) (d’habitude je ne lis pas avant d’écrire) mais tant pis – on voit Coluche imagine-toi (c’est l’été, on pourrait presque voir Vence et la Colombe d’or – là où Montand est tombé sous le charme de Simone) et on voit les Visiteurs du soir (Jules Berry et Alain Cuny d’abord, sans doute pas mal) on voit aussi la Nuit américaine – à cause de la Victorine et la Bisset – et puis ensuite, je vais chercher dans la chemise bleue les images – et je m’y mets (merci hein)
pas une course quand même, juste un premier brouillon.
Si on voit ces choses que tu écris alors tant mieux et merci Piero. ( le décor du château des Visiteurs du soir avait fait râler: trop blanc trop neuf. Trauner le décorateur aurait répondu que le château contemporain de l’histoire il allait quand même pas le décrépir )
Prête à poster, je vois ton texte, sans regarder ton nom, je lis trois lignes et je sais, et profite vraiment, car comme j’aime ce battement qui aussitôt installe un suspens, un familier et un large, large inconnu, merci de cette entrée en matière, dense et chaude.
Merci pour les mots qui réchauffent Catherine
tu shootes la première… et toujours tant d’images qui entraînent loin
je me glisse entre tes mots
et je vais m’y mettre moi aussi, oui bien sûr
Pas du tout plus clair pour moi, mais ce texte prodigieux, à rebours ce personnage et tout ce qu’on en attrape, c’est une courte nouvelle. Tu parles d’un autre angle… Emerveillée toujours par ta façon.
Intense, même sans les références que les connaisseurs y ont vu.
Bonjour Nathalie et beau texte… enveloppant…qui ouvre à plusieurs angles…aussi (et justement) le moment ou: d’abord tu n’as pas de visage…
ce vertige d’une photo infinie dans la présence inépuisable de tous ses instants !
Danièle, Sandrine, Jacques Merci de vos lectures et de vos mots