IL : Mettez vous là, je vais vous prendre en photo, là oui comme ça, serrez-vous un peu, arrêtez de vous disputer toutes les deux, L. tu n’avais pas d’autres chaussures à te mettre, regarde ta sœur elle au moins, elle a mis ses jolies chaussures blanches toi en va — nu-pieds. Enfin heureusement tu as mis tes gants et tu as pris ton joli petit sac. Dans soixante ans quand vos enfants regarderont cette photo il faut qu’ils vous trouvent élégantes. Bon ça vous fait rire, tant mieux. Dis-leur, toi leur mère, que cette photo est importante. Bon tu ris toi aussi, tant mieux. Vous la belle-mère vous n’avez pas envie d’être sur la photo, et bien tant pis, moi je veux que vous y soyez parce que c’est une photo souvenir, et vous aussi le beau-père, pas envie non plus, et bien tant pis, vous êtes là avec nous et vous serez aussi sur la photo. Bon tout le monde est prêt. Ne bougez plus. C’est fait. Les filles, où courrez-vous ? Attention, ne vous penchez pas. Je n’ai pas envie d’aller vous repêcher et pourtant la pêche ça me connaît. Ça vous fait rire ! Tout vous fait rire. Tant mieux. Dis-leur toi leur mère de faire attention, de ne pas se pencher, de ne pas se salir. Tu te penches toi aussi. Décidément je n’ai plus rien à dire, faites comme vous voulez, moi je vais photographier.
L.: Je regarde mon IL à moi, je suis la petite, la plus petite, il s’énerve, il veut que nous soyons très sages, il nous fâche, mais il est gentil. Lui aussi il a mis sa tenue du dimanche, je trouve qu’il ressemble à un acteur de cinéma, enfin je crois parce que je ne sais pas encore ce que c’est le cinéma, enfin je le trouve beau. Bon d’accord j’aurais pu mettre d’autres chaussures, mais en fait je mets toujours les chaussures de ma grande sœur, je n’en ai pas moi des jolies petites ballerines blanches. D’habitude IL s’en moque de mes chaussures, mais aujourd’hui IL veut que tout soit parfait pour dans soixante ans. Je trouve ça étrange. Moi je suis là aujourd’hui et ça me suffit. Je ne sais pas ce que c’est dans soixante ans. Et quand il parle de nos enfants qui regarderont la photo c’est du grand n’importe quoi, IL, il est parfois bizarre. Bon qu’il se dépêche à la prendre cette photo, grand-mère est énervée, c’est vrai qu’IL lui parle un peu sèchement et à grand-père aussi qui est fatigué et qui veut se mettre à l’ombre, alors qu’il se dépêche mon IL à moi je veux courir, m’amuser sur les pavés, me pencher sur le pont, regarder s’il y a des poissons.
La photo : Cahors sur le pont Valentré. IL, le seul qui n’est pas sur la photo c’est notre père. Il y a deux petites filles ma sœur et moi, et une femme jeune élégante notre mère. L’autre femme âgée élégante aussi, c’est notre grand-mère et juste derrière avec le visage de profil et une casquette c’est notre grand-père. Nous avons nos tenues du dimanche, les mêmes sans doute que celles que nous mettons pour aller à la messe. Nous sommes en vacances avec nos grands-parents maternels. Nos frères ne sont pas encore nés. IL nous regarde, IL nous fait sourire, IL nous donne l’air heureux sauf à notre grand-mère qui garde un air pincé, pensif. Notre grand-père lui ne regarde pas IL. Nos grands-parents faisaient partie du voyage, sûrement un devoir, une obligation pour IL de les emmener. Nous campions au bord de la Dordogne où IL aimait pêcher pas loin de nos deux tentes canadiennes. Assis sur un pliant IL lisait peut-être un livre posé sur la petite table pliante suffisamment grande pour six.. J’ai le souvenir d’un repas de petits pois en conserves chauffés sur un petit Camping-Gaz et qui s’évadaient de nos assiettes en plastique quand nous coupions notre viande, on riait. Je n’ai pas le souvenir d’ennui, ni de jeux non plus, peut-être un peu la pêche avec IL et sûrement des visites de vieilles pierres, nom que je donnais à tout ce que je trouvais vieux, et qu’il fallait regarder avec attention en écoutant les explications de IL.
J’ai le souvenir d’un repas de petits pois en conserves chauffés sur un petit Camping-Gaz et qui s’évadaient de nos assiettes en plastique quand nous coupions notre viande, on riait
L’intime universel. Merci.
Merci Betty.
Merveille de ce IL qui finalement parle haut et fort, plus haut et plus fort que le reste du texte..
merci Marie
Ce IL s’est révélé sans préméditation aucune. L’imprévisible de l’écriture.. .Merci Françoise pour ta lecture.
Bonjour Marie
Merci pour ce beau texte en triptyque ! J’ai beaucoup aimé les trois points de vue et j’ai passé un bon moment de lecture.