Mes copains disent de moi que je suis le photographe officiel des colonies (de vacances) des colonies. Bonjour le jeu de mots !
En regardant dans mon viseur, j’essaie de bien cadrer pour arriver à faire tenir les 52 gamines de 7 à 13 ans, les cinq monitrices et le grand écusson de ville d’Oran (Algérie). C’est une fin d’après-midi, fin de colo (dans la Drôme), fin de guerre (non pas encore), on est en 1960.
Je n’ai pas le temps de les détailler toutes, j’aperçois seulement des jupes, des pantalons, des tee-shirts (souvent rayés), des petits gilets, des serre-têtes, et des nattes, beaucoup de nattes.
Je leur demande deux choses, sourire et ne pas bouger. Toutes tiennent la pose convenue, les bras le long du corps. Seules deux petites diffèrent. Je ne m’en rendrais compte qu’au tirage. Faut dire que vu le nombre, mes yeux fatigués dans la chambre noire essaient de se divertir avec quelques détails. Les deux sont très brunes, celle aux cheveux longs plus foncée que l’autre, plus maigre aussi. C’est d’ailleurs ses longs bras qui attrapent mon regard, ils font un angle à 90° et elle a ses mains posées sur la taille qu’elle tient très en avant, ses habits flottent sur son corps osseux, son regard est dur, un peu par en dessous. Je sens en elle une colère sourde, à moins que je me fasse des idées…
Quant à l’autre, plus enfant, bouille plus ronde, cheveux courts, tee-shirt rayé (c’est la mode), regarde droit l’objectif en prenant une pose peu conventionnelle, une épaule franchement plus basse que l’autre, les mains posées sur les jambes, légèrement déhanchée. Je pense qu’elle aimerait bien être un garçon, elle a déjà le pantalon et le tee-shirt, la posture est acquise, elle sait observer les grands frères, toujours cette manière qu’ils ont de se tenir comme s’il n’y avait pas à discuter, la rue est à eux et les petites filles (même celles qui rêvent de jouer au foot) sont condamnées à rester à la maison. Dans sa posture, j’y lis toute sa révolte, à moins que je me fasse des idées…
Demain, j’irai photographier une autre colonie de vacances toujours dans la Drôme, celle de Dakar…
ces idées (peut-être toutes faites) sont (très) souvent justes
C’est ce que je pense…
à travers son objectif, il saisit aussi un moment d’histoire, avec un H.
Merci Piero