Une photo carrée prise à hauteur de nez où l’on distingue un camion poubelle avaler le contenu des bacs noirs que des hommes au teint gris et au torse fluo chargent et déchargent en libérant la puanteur de la surabondance et derrière un feu tout juste passé au vert libérant les voitures qui s’évadent dans des nuages de fumée grise en crachant l’étouffante odeur de l’essence brûlée et devant une limousine noire d’où sortent des hommes en smokings noirs et des femmes en robes longues noires embaumant les parfums les plus rares et le sol mouillé par une averse tardive d’où s’évapore le petrichor urbain telle la sueur de la ville et quelques volutes échappées des cigarettes blondes pour la senteur subtile du tabac consumé et au premier plan dans un coin de la photo tes cheveux qui sentent le patchouli de l’adolescence.
Une photo carrée prise à hauteur de bouche montrant cet enfant marchant nonchalamment les mains dans les poches en train de mâcher un chewing-gum Hollywood à la chlorophylle à côté de son ami essayant de gober une barbe à papa plus grosse et plus rose que sa tête tout ça pour capturer le goût sucré de l’enfance et derrière la terrasse d’un restaurant avec un serveur qui soulève la cloche argentée d’un plat posé sur un charriot pour découvrir une assiette aux mille flaveurs que les épices allument comme un feu d’artifice promis aux papilles en extase et plus loin encore dans les recoins sombres d’un comptoir au fond d’un troquet un quidam qui sirote sa bière acide et ses cacahuètes salées devant cette femme tenant entre ses doigts une tasse au café amer et au premier plan dans un coin de la photo tes lèvres qui goûtent les bonbons acidulés par la douceur des premiers baisers.
Une photo carrée prise à hauteur des yeux révélant tout au fond les tâches obscures d’une impasse dans laquelle apparaît sous un amas de cartons faiblement éclairés par un réverbère le corps inanimé d’un abandonné et devant dans la rue vivante et lumineuse les panneaux publicitaires criant le bonheur du consommateur et les enseignes des magasins et les immeubles immenses projetant sur leurs surfaces vitrées les reflets artificiels et hypnotiques d’une société qui se met en scène dans le mouvement incessant des voitures qui fourmillent de leurs phares allumés faisant apparaître sur l’image des trainées de lumières serpentant dans les dédales d’un labyrinthe de rues et d’avenues et au premier plan dans un coin de la photo le pourtour de ta silhouette qui se découpe en contre-jour et les pensées mélancoliques que m’évoque ce moment capturé.
Une photo carrée prise à hauteur d’oreilles d’un embouteillage dans lequel les voitures disposées en lignes rugissent et klaxonnent et d’où se devinent des éclats de voix qui s’échappent et des insultes pleines de frustrations et de colère et cette voiture au premier plan avec la fenêtre de la passagère grande ouverte laquelle danse tout en restant assise frappant dans ses mains sur le tempo de la musique hurlée par un auto-radio en surchauffe et devant les passants qui foncent tête baissée le téléphone portable collée entre l’oreille et la main laissant croire à un défilé pressé de chanteurs corses et les conversations sans fin et sans intimité qui s’envolent et ce cycliste de trottoirs le visage guilleret qui slalome entre les piétons en jouant de la sonnette et au premier plan dans un coin de la photo juste un morceau de ton visage et ta bouche qui me glisse un murmure à l’oreille.
Une photo carrée prise du bout des doigts où l’on distingue une rangée de parcmètres au garde-à-vous dont le métal gris et froid laisse planer une atmosphère maussade s’il n’était la robe vaporeuse d’une passante effleurant l’un de ces arbustes urbains devant une bouche de métro au fond de laquelle on devine le vrombissement des rames surbondées faisant trembler le sol bitumé et cet homme juste derrière en train d’ouvrir la porte de son immeuble les yeux fixés vers l’objectif lointain de l’appareil photo sans se douter que dans quelques instants il va se coincer les doigts dans la porte récalcitrante et susciter un franc sourire sur le visage de la jeune fille à la robe volante et qu’il en oubliera sa douleur éphémère et au premier plan dans un coin de la photo ta joue que le revers de ma main libre caresse avec tendresse et abandon.
Cinq images comme autant de positifs qui empilés les uns sur les autres dévoilent la photographie d’une ville prise dans tous nos sens avec au premier plan dans un coin de la photo le souvenir tout entier que je garde de toi.
Photo de Brendan Church sur Unsplash
Merci, pour ce texte, par le personnage qui revient dans les angles, la photo prise est associé à son auteur.
Quand le thème appelle à l’évasion, chercher des ancres pour ne pas s’envoler. Merci Laurent.
Bonjour JLuc
Merci pour ces photos prises à hauteur d’homme avec, dans le coin des bribes de tendre souvenir.
Je ne sais pas si c’est le souvenir qui s’invite dans la photo ou le contraire. Merci de ton passage Fil.
Cinq cents images qui se boivent sans ponctuation !
Chouette idée que d’explorer un sens à chaque fois à travers une image… cinq images comme sorties d’une mallette ou d’un carton ancien réservé dans un coin
et j’ai beaucoup aimé l’apparition du « tu » ou « toi » niché dans un coin du carré, comme témoin ou preuve que tout ça est bien arrivé…
c’est bien de revenir au visage aimé dans le coin c’est bien de partir dans l’infini foisonnement du tout vivant