Ce serait la photographie d’un objet qu’il possède depuis l’enfance. Une chose qui lui a été donnée enveloppée dans une page de journal et qu’il a toujours gardée. Cet objet lui vient d’elle qu’il n’a pas connue. Il l’a reçu par l’intermédiaire de quelqu’un, un vague cousin, le jour anniversaire de ses sept ans, pourtant chez lui on ne fêtait pas les anniversaires. A présent il a plus de soixante ans, il doit prendre sa retraite et quitter l’appartement où il vit depuis qu’il est enfant. Il a demandé à une photographe de venir prendre une image de l’objet, il l’a posé sur un tabouret au milieu de la chambre vide et blanche: cet objet pas plus gros que son poing. Le tabouret lui fait comme une stèle — une sellette il faudrait dire. La photographe entre, maintenant il regrette. Comme si l’objet photographié et répliqué pouvait y perdre son âme. Il demande à la photographe qu’elle n’installe pas de lumière spéciale, pas de lumières et d’ombres rajoutées, demande-t-il, surtout pas de spot. Il ne veut pas faire de l’objet une œuvre d’art, pas d’effet de dramatisation dit-il, sans doute attraper sa couleur, ce bleu, ce bleu presque effacé par endroits. Il veut une photographie neutre. Objective: l’objet et le jour aux fenêtres avec ce ciel gris et nu cependant qu’il fait nuit noire et qu’il est seul.
Un jouet dans la boue. Une poupée racornie pour partie fondue, avec autour du cou un ruban rose de la couleur rose des robes de demoiselle d’honneur, et de petites taches de sang comme une surpiqure de rouille. Une poupée dans la boue d’un chemin. On ne doit pas la déplacer. On doit prendre plusieurs images. De chaque côtés. La circonscrire, chaque détail compte. C’est une pièce majeure à porter au dossier. Une pluie de grêlons se met à tomber, elle blesse. De sous l’arbre sous lequel ils s’abritent ils la voient se noyer, la poupée racornie se fond à la boue qui remue à gros bouillons cependant qu’un peu plus loin, dix pas à peine plus, le corps de l’enfant au ventre ouvert nage sur le dos.
La hauteur du mur impressionne. Leur nombre impressionne. Ce qu’ils attendent ici bien rangés en file indienne au pied du mur? Des heures qu’ils attendent. Depuis l’aube du jour d’avant. Est-ce que l’image peut rendre le temps. Ce temps qui les enserre.
Les mains posées l’une sur l’autre. La couleur: jaune de Naples. Les ongles arrachés. Il faut prendre l’image en plongée. Techniquement on n’a pas encore trouvé comment. En place de la tête on a posé le ballon du petit, un maillot de foot le recouvre.
Où est la cinquième image? cette photographie sans pellicule ni raw, celle qui a été faite et rangée dans une boite.
écrit sans retour avec au réveil le souvenir d'entretiens sur des ONG entendus la veille dans une salle de théâtre
Bonjour Nathalie
Voilà quatre photos très impressionnantes non dénuées de cruauté. Un très grand merci !
Glaçant et réussi. Bravo, Nathalie.
Tes débuts toujours à happer, on en veut plus et toi tu n’as encore donné que quelques mots. Oublié le début à cause de la fin, mais la douceur nostalgique du début. Beau.
Une ligne de force qui traverse tes fragments, pour moi liés à la description de cette poupée
Sitôt que tu écris « à porter au dossier », tout un récit s’installe
Ai beaucoup aimé ton expression » comme une surpiqure de rouille »…
Chirurgical. Et photographique en effet. On imagine des têtes de chapitre ainsi avant le déroulé d’une histoire. Très efficace. Distant et proche à la fois.
« Est-ce que l’image peut rendre le temps. Ce temps qui les enserre. »
Merci Nathalie Holt. Au delà des bruits, des craintes, des peurs, des cris et des silences que font entendre ces arrachages, j’entends comme un rappel à l’ordre de notre condition.
oui, il y a une chanson qui fait « Est-ce que l’Europe est bien gardée ? je n’en sais rien » – (African tour) -« Est-ce que les douaniers vont tirer ?on verra bien »… j’ai pensé au petit Aylan Kurdi, sur la plage – comme dit Ugo, notre condition…
oui Nathalie… et la cinquième
Fil, Anne, Marion, Ugo, Piero, Françoise, Brigitte Merci de vos retours .