Croise la scène en passant en voiture légèrement ralentie par le trafic l’œil photographique répondant très vite devant la fenêtre ouverte observée par hasard la jeune femme aux longs cheveux noirs rabattus vers l’avant deux bras appuyés sur une marche mains pendantes dormant ou subissant un malaise ou pire agonisant ou reflétant l’effet d’un mirage dans cette ville agitée surchauffée soleil dur au-dessus des têtes forces envolées anéanties
Observe ce matin et capte sans relâche le mur blanc pas lisse boursouflures multiples donnant à la surface le signe d’une étrange vie souterraine parcourue dans la partie haute par une ligne profonde blessure noire dirigée vers le bas et dans le mouvement inverse vers le haut une autre blessure plus longue et plus creuse deux lignes se regardant en parallèle irrégulières fantasques devant le mur tout près un pieu de fer surmonté d’une infime ouverture qui laisse passer un fil à linge nu pincé simplement par des épingles en bois le mur pouvant à tout moment saigner d’un sang noir raison pour laquelle s’explique l’absence de linge suspendu.
Saisis bien la scène capturée vendredi soir dans la vieille ville par le soupirail éclairé d’un modeste restaurant la cuisine rudimentaire au centre un récipient animé de flammes révèle un enfer culinaire trois jeunes gens en tricot de corps transpirent s’essuient le front visages tendus mains habiles semblant suivre un programme répétitif un barbu à la plonge tête baissée un moustachu à la friture torse précautionneux distant un imberbe à la découpe droit triomphant trilogie singulière d’immigrés peut-être sans papiers
Frôle du regard cette femme pas possible que ce soit une joggeuse elle court sans tenue sportive sa main droite relevée tient un téléphone sa chevelure noire est auréolée d’une lumière blanche son visage précédé d’un halo de brume exprime la souffrance vers quel drame se précipite-t-elle passant si vite si déterminée si sombre juste le temps de la prendre en photo et d’en être secoué
Regarde bien assis à la terrasse du café de la grande place regarde vers le bas capte les systèmes de jambes et de pieds des passants une forêt animée agitée de rythmes effrénés de lenteurs d’hésitations de risques démarche vive gracieuse raide boiteuse élégante handicapée jambes musclées tatouées malingres grêles arquées élancées peau fine grossière sèche ridée violacée pieds petits grands larges étroits dénudés couverts lisses calleux fins certains semblent s’enfoncer dans le sol d’autres flotter au-dessus capte ce chaos harmonieux en un cliché spontané
je t’ai lue d’une traite
j’ai bien suivi tes indications, « croisé la scène, observé ce matin, saisi et frôlé et regardé » et j’ai aimé ce que j’ai vu là sans ponctuation soudain qui prenait vie dans l’espace de la photographie…
(et je te rejoins complètement dans la dernière forcément !)
je trouve que toutes ces propositions bousculent nos habitudes, en tout cas les miennes, j’écris avec curiosité, impression de trouver de nouveaux chemins
merci de tes mots F.
oui tes pas de danse résonnent avec ma forêt de jambes !
Bonjour Huguette
J’ai beaucoup aimé tes textes-images capturés sur la ville. Des photos inventées qui regorgent du réel le plus fin, le plus profond, le plus important. Merci !
merci Fil de ton passage
ce travail de textes-images (juste désignation) facilite bien l’approche du réel je trouve
ça a quelque chose en accord avec la précédente – en cinq verbes – impératifs… mais tu n’as pas gardé/pris/réalisé/produit/fait les photos (parfaits instantanés)
montrer avec des mots des images non réalisées bel exercice je trouve.
merci Piero de ton écho