Je déambule, place Jean Paul II, en ce bel après-midi d’octobre, me mêlant à la foule des touristes et autres badauds, venus admirer cette dame millénaire qui se dresse crânement au-dessus des toits et des ruelles séculaires entourant l’île de la Cité. Tournant le dos à la Préfecture de Police, je traverse la rue de la Cité, qui marque la limite entre le profane et le sacré, l’Eglise et l’Etat, la République et la monarchie, la tradition et la modernité. De cet entre-deux, je retiens cette photo prise au portable, que j’ai volontairement surexposée, sans retouche ni ajout, pour ne retenir que l’essentiel, ce que l’on a pas encore vu au détriment de ce qui est présent depuis toujours, dont les traits photographiques à peine esquissés, laissent deviner leur présence dans un flou immaculé qui s’estompe dans un lointain évanescent. Photo du passé, photo pas encore jaunie mais déjà atténuée comme un souvenir ancien, à mi-chemin entre l’aquarelle et le crayonné, il n’est pas utile de décrire davantage Notre Dame de Paris..D’autres s’y sont essayé, avec plus de talent, et d’ailleurs qu’aurais-je à ajouter à la description d’un édifice universellement connu? On se souvient des tours inachevées, de la flêche qui les surplombe, mais aussi les gargouilles et les statues qui ornent les façades. On les a tous vu au moins une fois, sans omettre naturellement de parler du portail du Jugement dernier, que j’aperçois au-delà d’une palissade entourant la cathédrale aujourd’hui en réfection. Nos souvenirs peuvent être si précis que cette photo semble bien dérisoire. Donc enlevons de notre champ de vision ce que l’on a coutume de voir et pour changer, hiérarchisons notre regard, comme le ferait un peintre composant sa toile.
Des planches dessinées de grande dimension, ornent la palissade, suivant un parcours pédagogique, qui part de la gauche vers la droite. Des dessins réalistes de personnages, oeuvrant à la reconstruction de l’édifice, décrivent dans des bulles, les différentes étapes du chantier. Ces vitraux modernes, à vocation didactiques, sont destinés au passant béotien ou peu intéressé par cet héritage patrimonial. Au pied de cette palissade, devant un de ces dessins, des touristes rigolards, prennent la pose devant l’édifice. Sans doute, ne lisent-ils pas le français et les personnages de cette fresque bédéisque ne semblent pas parler l’anglais non plus. Au pied de cette palissade, j’ai cherché vainement le point zéro, d’où part le décompte kilométrique des routes de France. Je sais que ce point zéro est situé à l’ouest de la cathédrale, sur le parvis, entre la préfecture et l’Hôtel-Dieu, le plus vieil hôpital de Paris, dont on aperçoit la trace discrète, à gauche de l’image. Le point zéro que je recherche, est sans doute situé derrière la palissade, hors d’atteinte. Je me remémore assez bien, ce point étoilé, à l’image d’une rose des vents, qui affleure des pavés séculaires du parvis de la cathédrale, Tant pis, ce sera pour une autre fois, à moins que lui aussi soit restauré. Qu’en restera t-il?
La statue en bronze équestre de Charlemagne, sceptre à la main et coiffé de sa couronne impériale, trône fièrement sur son piédestal, au sud de la cathédrale, entouré de ses fidèles Olivier et Roland de Roncevaux. A l’abri d’un arbre, la barbe en W, le regard conquérant, tourné en direction du soleil couchant, tout en gardant un oeil envieux sur son imposante voisine, il toise, de toute sa superbe, la vingtaine de touristes allemands, qui s’achemine lentement vers le jardin de l’Archevêché, indifférents à leur auguste ancêtre, venu comme eux, d’Outre-Rhin. L’aprés-midi déclinant recouvre d’un voile d’ombre la stature monumentale qui disparaît progressivement sous les frondaisons jaunissantes, comme les pages d’un vieux livre, qu’on ne cesserait de tourner. Feuilles jaunies par un automne précoce, photo délavée pour avoir été brûlée par une lumière trop crue, l’ensemble se fond en un tout harmonieux.
En bordure du parvis, à l’avant de la cathédrale, le jardin Jean Paul II fait pâle figure. Ce jardin a déjà plus de quarante ans. Il fait son âge. Manque d’entretien? Usure du temps? Sans doute un peu des deux. De l’herbe irrégulière, jonchée de quelques détritus n’ayant rien de divin, sert de site de repos aux pigeons parisiens, picorant ici et là, quelques graines ou autres insectes que la Providence leur apporte, souvent de la main de l’homme, Une bordure basse grillagée, frontière dérisoire censée préserver ce tapis vert, ne peut rien contre les empiètements intempestifs des passants et touristes recherchant un abri ou une ombre lorsque le temps se montre trop chaleureux ou capricieux. Sur le devant d’une de ces bordures, assise en tailleur sur un tapis de laine, une jeune femme, coiffée de dreadlocks, s’époumone à souffler dans un didgéridoo, appelant les quelques touristes à proximité, à s’assembler autour d’elle, pour les faire communier en esprit avec de lointains aborigènes, peu au fait de cette appropriation culturelle. Je m’éloigne de cette musicienne pour revenir sur mes pas. J’ai vu quantité de gens et de choses sur cette esplanade que l’on discerne à peine ou que l’on devine sur la photo. Ce que l’on ne voit pas est aussi hors-champ c’est-à-dire hors du cadre du viseur, comme l’entrée de la crypte dont on voit la trace au premier plan à gauche. Elle est aussi connue que la cathédrale. Point n’est besoin de la reproduire fidèlement. Les habitués des lieux savent qu’elle est là, inséparable de l’édifice qui l’accompagne. Ils en connaissent les lieux, le contenu des inscriptions gravées sur le muret à l’entrée ou encore le nombre des marches qui y conduisent, Bref rien ne sert d’encombrer la photo, centrons nous sur l’essentiel à nos yeux….et aux yeux de chacun.
Bonjour Laurent
Voilà une belle description des alentours de Notre-Dame. On se promène avec toi dans le hors-champ de ta photo surexposée à travers les éléments qui font signe. Merci !
Ravi que tu aies apprécié cette promenade…merci pour le commentaire