Des corps qui se croisent dans un centre commercial, balancement des bras, entrechocs d’épaules, un talon marron, un sac en osier, les couleurs des vêtements comme des traces qu’un pinceau étalerait ; des visages, des membres en mouvement : on arrête la première personne immobile et on l’interroge :
– Qu’est-elle venue faire ici ?
– Oh, la même chose que tout le monde ! Je suis venue acheter.
– Mais quoi ?
– J’ai une liste sinon j’oublie. Aujourd’hui je n’achète que des choses féminines : des asperges, des brioches au beurre, des bananes, une bouteille de vin, des brossettes interdentaires, une boîte de chocolat, une couverture, de la crème hydratante, une chemise, des croquettes pour chat, de la charcuterie, une caméra analogique, une échelle, de l’eau, de la frangipane, des gaufres au sucre, une housse à ordinateur, des boules Kies, des lunettes, des lingettes démaquillantes, une lampe, de la lotion anti-poux, une multiprise, de la margarine, de la mousse à raser, des madeleines, des pellicules, quelques prunes, des pâtes, une pelle, des plantes, des quenelles, une recharge de savon liquide, de la soupe en brique, une serpillère, de la sauce tomate, une table, une valise.
-Et tout ça, c’est pour un voyage?
-Pas du tout, c’est pour le plaisir de faire des listes. Je m’amuse avec les genres, je remplis mon chariot avec tout ce qui est énuméré sur mon bout de papier. J’ai les mots et les objets, une sorte de tautologie, de redondance qui emplirait le vide. J’attendrai à l’écart pour observer les regards qui s’attardent sur le caddie, les corps le flairent, les mains s’en emparent. Et j’écrirai une liste de gestes.