C’est en discutant avec lui qu’elle a eu cette idée. Celle de réaliser un film bref, une sorte de teaser pour présenter son livre, car oui, cette fois ça y est, c’est prononcé, c’est dit, ce qu’elle est venue faire dans cet hôtel, pendant ces heures passées à arpenter le quartier, elle en prend tout à coup conscience, c’est se plonger dans des souvenirs, emmagasiner des sensations, collecter des impressions visuelles, sonores, rassembler de la matière pour établir ce qui constituerait le fil rouge de ce pan de sa vie dans le quartier. Elle propulserait ce film sur les réseaux pour annoncer la parution du livre et donner l’envie de s’y plonger. Tous les éléments sont réunis pour qu’elle s’adresse à lui pour la réalisation : sa proposition d’aide au vu de son intérêt pour les lieux et son métier de journaliste et réalisateur de reportages filmés. Elle ne se sent pas capable de réaliser un tel film ni aucun autre d’ailleurs. Il a accepté sa demande sans hésitation. Ils ont pris date une journée d’hiver par temps clair, ciel bleu intense qui met en valeur la blancheur de la façade immaculée. Il a sorti les grands moyens, c’était l’occasion d’utiliser le drone fraîchement acquis. Prise de vue en plongée sur une place tout en longueur avec en son centre une pièce d’eau. La descente se fait lentement, apparaît une femme, de dos. Elle regarde la surface plane de l’eau qui frissonne à peine sous une brise légère. En face d’elle de l’autre côté, la façade fraîchement rénovée et peinte en blanc d’un bâtiment ancien avec ses toits à pignons, on la suit qui flâne autour de l’étang, le chemin bifurque légèrement à droite pour sortir vers la rue qui en fait le tour complet, on continue de la suivre encore quelques pas quand tout à coup nous est offerte une vue de côté de la façade, comme si on avait appuyé l’épaule gauche contre celle-ci, contre des briques de parement en pierre bleue. La caméra filme ce qu’elle voit, c’est comme si on était dans son corps, on regarde à travers ses yeux pour quelques instants. On est en contrebas du trottoir et sur la droite, contenues par un petit muret de briques rouges, des plantations de lierre, quelques marches qui descendent vers la porte d’entrée en verre. Puis on se retrouve à l’intérieur dans le sas. La porte d’accès vers les ascenseurs est vitrée aussi, sur la droite les boîtes aux lettres, sur la gauche un immense miroir, on l’y voit prenant des photos avec son téléphone, gros plan. Se superpose soudain une photo de l’entrée plus proche de ses premières années d’existence du temps où sa fonction n’était pas celle d’un immeuble à appartements de luxe mais une clinique appelée Institut médico-chirurgical. Entrée qui, comparée à celle d’aujourd’hui passerait presque pour majestueuse. Sans doute la hauteur des plafonds y est-elle pour quelque chose. Arche agrémentée de moulures, haute double porte vitrée à châssis de bois peint en blanc, plantes vertes dont deux posées sur deux radiateurs en fonte de part et d’autre de la porte vitrée (une fraction de seconde, on ne peut s’empêcher de trouver étrange la présence de deux radiateurs à cet endroit). Puis la caméra s’approche à nouveau d’elle par derrière, elle est appuyée à la rambarde qui surplombe la sortie d’un tunnel, il fait nuit, zoom vers elle qui se retourne, à nouveau la caméra prend sa place, on voit le défilé des voitures, le balai des phares et de l’éclairage latéral du tunnel, faisceaux bleu mauve et rouges. Flash sur elle dans un bar, elle sirote un verre vin tout en prenant des notes sur un calepin, elle est seule, le bar est rempli de monde. Le film se termine sur un train qui pénètre dans un tunnel, avec d’un côté une tour de verre et de l’autre un ancien hôtel art déco, on a juste le temps de voir qu’il s’agit d’une gare qui commence en surface et se poursuit dans le tunnel, on distingue quelques personnes qui marchent sur le quai et entrent dans le tunnel. Sur cette dernière image apparaissent sur toute la largeur de l’écran le titre du livre et en plus petit, en dessous, le nom de son auteure. Fin.