C’est un portrait de dos, en noir et blanc. Pas besoin du visage. Les épaules qui tombent avec le tee-shirt qui fait ressortir le plat des omoplates, les mains qui pendent, la casquette inclinée qui lui cache ce qui est devant lui autant qu’elle doit cacher son regard aux autres. Un haut du corps épuisé qui contraste avec le galbe des mollets, frais et incongrus entre les baskets et le bermuda. Le pas lourd, enjambée courte, plus courte que celle de celui qui marche à côté de lui et incline la tête de son côté, un bras passé sur ses épaules. Par terre les traits blancs qui délimitent les places sur le parking de l’hôpital guident leurs pas. Pas besoin du visage. On sait. Le photographe, il ne l’a pas vu. Mais même s’il l’avait regardé, il ne l’aurait pas vu
Agenouillé, tête baissée, le visage tourné vers le sol. On voit ses cheveux, sales et emmêlés. Les bras tirés en arrière par les mains attachées dans le dos font ressortir ses épaules. Ses vêtements trop grands pendent sur lui comme sur un fil à linge. On ne voit plus que l’arrière de lui-même, les semelles de ses savates, son dos et le haut de son crâne. Il n’a plus de torse, plus de visage, plus de ventre. Tout est de la même couleur terre, ses habits, les murs, le sol. Très haut dans le mur, une ouverture vient poser un rectangle de lumière grillagée sur le sol, juste à côté du trépied où est installé l’appareil photo. On est allés chercher des piles. Ils vont revenir, il a encore quelques secondes pour essayer de décider comment il veut se montrer sur cette image. Rassurant pour ses proches. Désespéré pour ceux qui pourraient encore faire quelque chose pour le sortir de là. Quoiqu’il décide, il faudra qu’il soit immobile dehors malgré tout ce qui cogne dedans
La chemise est bien trop grande pour lui. Il a replié les manches mais ses épaules sortent presque par le col. La casquette est quasiment à sa taille, mais elle lui écarte quand même un peu ses oreilles et elle tombe sur ses yeux. Il a les ongles noirs, les mains sales, encore potelées par endroits, crispées sur ce fusil trop grand qui barre l’accès du monde à son torse maigre. Menton en avant. Il pose. Il essaye de se trouver une place entre la peur et la fierté. Une photo. Pourquoi ? pour qui ? il sait juste que c’est une photo, qu’il doit se tenir droit, relever le menton, être fier. Sa tête est vide d’être trop remplie de questions et de peurs. Pour l’instant, il est fier, il essaye juste d’être conforme à ce qu’on attend de lui pour éviter qu’un autre ne vienne lui prendre sa place
Bonjour Juliette
Un grand merci pour ces trois portraits d’hommes fragiles dont deux sont sans visage. Les descriptions sont implacables et leurs pensées justement évoquées.
Bonjour Fil, et merci pour ta lecture, ta constance et ton petit mot à chaque fois !
Bien vu, les physionomies capturées par la photographie (ou l’oeil) sont en parfaite adéquation avec leurs pensées. Et en effet, c’est implacable.
Merci, contente que ça marche. Pas évident de faire passer l’idée sans en faire trop, je n’étais pas vraiment sure de moi avec ces textes … Enfin, encore moins que d’habitude !
Une présence vive se dégage à travers les postures et les gestes. Le récit a capté presque aussi loin que l’objectif !
La méthode Fabienne Swiatly pour les portraits. Suis bluffée du résultat à chaque fois