On reproduira par la photographie: 1° les têtes nues qui devront toujours, sans exception, être prises exactement de face, ou exactement de profil, les autres points de vue ne pouvant être d’aucune utilité; 2° des portraits en pied, pris exactement de face, le sujet debout, nu autant que possible, et les bras pendant de chaque côté du corps. Toutefois, les portraits en pied avec l’accoutrement caractéristique de la tribu ont aussi leur importance. Paul Broca – Instructions générales sur l’anthropologie – 1865
Mes lèvres sont fines et droites, noirs et ondés mes cheveux, le diamètre antéro-postérieur de ma tête est de 160 mm, ma taille est de 1,14 m, mon sexe est féminin, six ans mon âge et ta fiche précise aussi que je m’appelle AWARAHENA dont tu dis dans ton livre sur les exhibés à Amsterdam que cela veut dire « petit lion de la forêt » — ce que tu ne savais pas à ton époque des zoos humains, c’est que tes photographies en apprennent plus sur toi que sur nous, les Autres.
A trois reprises, à la fin du XIXe siècle, des Amérindiens d’origine Kali’na, usuellement appelés Galibis, furent exhibés en Europe, dont deux fois au Jardin zoologique d’acclimatation à Paris, en 1882 et en 1892. En 1883, des familles de Kali’na furent exposées à Amsterdam lors de l’exposition coloniale. Il s’agissait, à chaque fois, de groupes différents. En 1892 le recrutement de Kali’na pour une nouvelle exhibition au Jardin d’acclimatation à Paris se fait sur une plus grande échelle. Pas moins d’une trentaine d’Amérindiens, hommes, femmes et enfants, de Guyane et du Surinam, arrivèrent à Paris en mars 1892 pour deux mois. Il s’agissait uniquement de Kali’na, même si par le choix des individus, les recruteurs tentèrent de faire croire que certains d’entre eux étaient des Amérindiens venant l’intérieur des terres. Le souvenir douloureux de ce séjour au Jardin en 1892 a traversé les générations. En effet, en raison du froid et de conditions d’hébergements déplorables, plusieurs Kali’na tombèrent malades. D’après leurs témoignages, une épidémie de grippe aurait précipité le retour dans leurs villages. Certains d’entre eux furent toutefois hospitalisés, probablement à l’hôpital Beaujon.
Trois Kali’na seraient morts à Paris, deux autres durant le voyage de retour. A Neuilly, le registre d’état civil de Neuilly porte la mention du décès de « Pékapé, agée de 18 ans, sans profession, originaire du Haut-Maroni dans la nuit du 5 au 6 mars 1892 ». Le visage de Pékapé illustrait l’article publié dans La Nature. Les archives de l’assistance publique de Paris portent ainsi mention du décès, le 10 mai 1892, d’un jeune Kali’na de 17 ans « venu du Fleuve Maroni » et « demeurant habituellement à Neuilly, Jardin d’acclimatation », se prénommant Malé. Peut-être était- ce le frère de cette jeune femme Paris qui raconta plus tard à ses enfants qu’elle avait vu son frère pour la dernière fois à l’hôpital, la veille du départ, mais ne sut jamais ce qui lui était arrivé.
Rien n’est précisé concernant le sort des dépouilles. L’acte de décès de Pékapé est signé par Augustin BOQUET, adjoint au maire, et par Arthur PORTE, « secrétaire général au jardin zoologique » et un Georges VUGNEAU, « entrepreneur de marbrerie », sans préciser si sa dépouille a été inhumée. Les corps d’un ou plusieurs des Amérindiens décédés semble avoir été cédé pour être disséqués, au Muséum d’histoire naturelle ou à l’Ecole de médecine voire à la Société d’anthropologie… Le 21 avril 1892. lors d’une séance la Société d’anthropologie de Paris fut d’ailleurs évoqué le sort de « deux Caraïbes morts à l’hôpital Beaujon » parce que la Préfecture aurait refusé la possibilité de récupérer la tête de l’un d’eux. Le compte-rendu de la séance indique qu’un des participants aurait alors déclaré : « il y a un Caraïbe en dissection au Muséum en ce moment. » Et d’après les informations recueillies auprès du Muséum national d’histoire naturelle à cette Mission, le corps non identifié d’un Kali’na se trouverait bien encore dans ces collections. Extrait du Rapport de la Mission sur la mémoire des expositions ethnographiques et coloniales -CPMHE- Novembre 2011 Source: https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/114000663.pdf
sacrée prise d’écart… en lien avec discussion amorcée hier soir…
Merci Ugo pour ce texte. Ces atrocités sont trop eu connues.
« ce que tu ne savais pas à ton époque des zoos humains, c’est que tes photographies en apprennent plus sur toi que sur nous, les Autres. » merci Ugo pour ce texte ! et pour la frontalité des images
Merci Ugo, ces photos donnent au texte une véracité, ce gamin il est là. Super texte.
les zoos on savait, cela non… une époque (voir les aliénés et autres).. l’idée sous jacente d’une « infériorité » ou « étrangeté » raciale ou héréditaire, non ?
Merci de vos retours. Sur ce sujet, lire les travaux de Pierre-Jérôme Jehel: Photographie et anthropologie en France au XIXe siècle.
http://www.a-m-e-r.com/mots-regards/wp-content/uploads/2013/02/photo_anth19e.pdf
merci (en suis à la page 34… suite à plus tard) et merci pour la photo
Bonjour Ugo
Merci pour ce texte qui nous en apprend beaucoup sur l’anthropologie raciste et sauvage.
C’est glaçant. Merci pour ce texte, pour ces photos. Le regard de Petit Lion est inoubliable
Comme ça résonne fort avec les propos échangés en fin de zoom entre toi, Laurent et quelques autres…
nécessité des photographies qui parle à elle toute seule…
et image du fleuve Maroni qui draine aussi ses morts
Merci François, Daniele, Nathalie, Laurent, Brigitte, Fil, Muriel, Françoise de vos retours.
Pour approfondir, rappel de ce lien: http://www.a-m-e-r.com/mots-regards/wp-content/uploads/2013/02/photo_anth19e.pdf
Merci Ugo !
Merci : la force du matériau brut, du rapport. Et ce n’est pas sans lien avec la violence de nos économies actuelles vis à vis de ressources naturelles et humaines en Amazonie en particulier.
Cett enquête, ce rapport de médecine légale, une trace incroyable pour la lecture historique, on a du mal à savoir s’il s’agit d’une simple procédure qui s’exerce là comme elle s’exerce sur toute disparition, ou si elle amène – déjà à cette époque, un refus.
J’ai pris note du lien pour approfondir. Toutefois n’est-ce pas à vous l’écrivain ? 😉
Merci Nolwenn de votre attention. Sur la question posée, le simple scripteur que je suis ne peux que fouiller le passé. L’appeler au secours pour ne pas trop se méprendre sur notre présent. Mais est-ce seulement possible ? Je n’en suis pas sûr.
Magnifique de retenue et d’humilité. Par ton travail de collecte/montage, un peu de leur dignité restituée. Merci Ugo.
Oui, Jérôme, seule la retenue pouvait respecter. Merci de ta compréhension.