J’aurais pu l’imaginer à la ligne courte des hanches – stable sur ses jambes – l’arme ferme dans la main – l’œil fixe ne dévie pas de la cible.
En alerte, narines frémissantes, à l’inspir se bloque, je le vois à sa poitrine.
Rien ne doit bouger. Dans l’immobilité, s’absente pour concentrer toute son attention dans le regard et dans la main qui déclenche.
Le pas de tir, visage de profil – le dispositif cadré sur le haut du corps puisque là réside le geste.
Le buste émerge, le torse héberge entièrement le geste, les jambes ne servent qu’à assurer la stabilité de l’ensemble. Une femme-tronc pourrait tout aussi bien tirer.
Elle vient peut-être deux ou trois fois par semaine. Elle ne dit rien de son arme. Elle n’est pas fétichiste. Une arme comme une autre, mais de poing. Même si parfois elle revient à la carabine. Back to basics.
Elle n’est pas là pour l’arme mais pour la cible, le plaisir de viser juste, de ne pas trembler, s’assurer, d’ajuster le geste. Elle ne parle pas, elle tend son bras. Elle regarde loin, au-delà.
Elle tue l’invisible. Peut-être qu’elle tue quelque chose en elle.
Son œil ne se trompe pas, seule la paupière tremble un peu. Le cil volette comme une aile qui ne se décide pas entre ouverture et fermeture. Ça la gêne un peu.
Avant de tirer elle ne pense à rien. Elle déploie toute son énergie dans le fait de ne penser à rien. Elle se vide pour se remplir d’air. Elle inspire toute l’oxygène possible, elle sature ses poumons, elle se gonfle. L’air se comprime alors tout entier contraint dans sa cage thoracique.
C’est l’air contenu dans son corps qu’elle expulse du barillet. Plus elle en absorbe plus le plomb ou la balle gagne en vitesse.
Le reste, c’est une question de précision. Elle sait qu’elle doit viser légèrement en retrait, la faute à son œil droit. Son gauche à demi-fermé ne lui sert à rien de plus qu’à se fermer.
Après, elle respire et relâche ses épaules. Là, en même temps que le sang et l’air, affluent à nouveau ses pensées.
Elle pense à l’ouverture de la chasse. Ceux qui défilent entre les rangs serrés de vigne, dans les dédales de forêt, en plein champs. Elle se demande s’ils pratiquent toujours le tir, s’ils s’exercent. Au lieu de tirer dans le tas. Mais dans le tas de quoi ?
Elle ne ferait pas de mal à une mouche mais un homme ?
Elle pense à l’open carry aux Etats-Unis, tellement facile avec un gun dans sa poche de se faire justice.
Pourtant, elle pense qu’elle-même, si on touchait à ceux qu’elle aime. Si l’on osait.
Puis, elle ne pense plus, elle emplit ses poumons et se prépare à nouveau à tirer.
J’aime la sécheresse du texte. J’aurais encore plus cisaillé l’affaire pour ne garder que le suc et la suggestion. Intéressant quoiqu’il en soit.
Merci Marion, c’est quelque chose sur lequel il faut que je travaille : l’épure.