Tu la vois ma médaille ? Pareil pour les boutons, je l’astique, il faut qu’elle brille. Les bottes aussi. Pas n’importe qui pour représenter la banque. Un ancien soldat, ça impressionne les passants et ça rassure les clients. Ils me verront dans ton pays aussi. Ils la verront ma médaille de gloire. Sans elle je l’aurais eu ce boulot ? Je suis un homme de confiance. Les plis, ils arrivent toujours vite avec moi. En fin de journée, les pièces de mes pourboires, elles pèsent dans mes poches. Je fais bien mon travail. La ville je la connais, surtout les beaux hôtels et ton ambassade aussi. Ils sont nombreux les clients de ton pays ici. Un gars des bureaux m’a dit que c’est vous qui financez notre banque. Alors, aujourd’hui normal qu’on accueille bien ton président. Normal que je reste la journée devant avec les portiers à attendre pour agiter mes drapeaux. C’est important. Elle est bien placée notre banque et puis elle impressionne. T’as vu la taille des portes et les colonnes de la façade ? Solide, solide comme moi dans une charge, sous la mitraille des Japonais. J’ai tenu tu sais. Alors ça me gêne pas, bien au contraire, d’attendre que tu aies fini avec ta photo de moi. Rester debout ça me connaît et puis assis, j’ai encore mal de cette blessure. Quand même un peu bizarre ton choix de me photographier moi, le vieux commis. En tout cas, tu parles notre langue, j’ai confiance et j’attends pas de pourboire ! Tu partiras avec mon image, tu la montreras là-bas dans ton pays au climat plus doux. J’ai entendu des riches d’ici en parler de votre capitale, de vos palais sur la mer. Au moins, mon image, elle verra un peu de tout ça. Peut-être qu’elle m’enverra des rêves de chez toi ? Ça changera de mes nuits d’ici où je marche encore dans Pétersbourg mais un Pétersbourg que je reconnais pas, où je me perds et où je manque mes rendez-vous. Elle doit valoir cher ta machine à photographies et comme elle est lourde ! En tout cas merci à toi de me traiter comme un prince !
Photo noir et blanc. Un homme en uniforme face objectif, très droit mais un peu bancal. Une épaule plus basse que l’autre et déjetée. Il ne sourit pas. Sa casquette à visière plate avec un ruban clair. Le bas de son visage recouvert par des bacchantes et une barbe qui se mélangent avec soin. Son manteau d’uniforme sombre avec deux rangées verticales de sept gros boutons brillants. Entre la première paire en partant du haut, une médaille. Dépassant de ses poches, un petit drapeau russe et un petit drapeau français. Derrière lui, un pilier et un mur composés de trois gros blocs de marbre. La légende indique qu’il s’agit du commissionnaire de la banque Azov-Don, à Saint-Pétersbourg. Sur le premier drapeau il est écrit en cyrillique : « La Russie souhaite la bienvenue à ses amis », sur le second : « Vive la France », en l’honneur de la visite du président Poincaré, au mois de juillet 1914.
Quand la consigne de l'atelier en cours permet rencontre avec projet perso.
Oui toujours ce questionnement de ce qu’on s’autorise à « voler » comme image ailleurs alors qu’on n’oserais pas vraiment chez soi. Je ne sais pas si c’est valable pour tous, je ne sais pas ce que cela signifie et dit de nous lorsque les questions ne se posent pas ensuite. J’ai voyagé et pris des photos. Je ne suis pas sur que je recommencerais comme ca aujourd’hui ce que ca dit. La rencontre d’abord l’image ensuite!
OUI je la vois la médaille et cette photo sortie peut-être d’un album de famille ? Tu nous révèles cet homme qui s’autodécrit en s’adressant au photographe, on l’imagine et tu nous le donnes à voir physiquement dans la deuxième partie. J’ai bien aimé ce décalage, cette surprise de l’image. Merci Jérôme
Bonjour Jérôme
Merci pour ce beau monologue intérieur adressé au photographe. Avec la description de la photo, c’est à la fois précis et émouvant.
(j’ai pensé au « Dernier des Hommes » (Murnau, 1924) – c’est raccord avec l’époque apparemment…)