Attroupement dans une ruelle face à un mur, ça discute, ça rigole, ça pose, rapide et au suivant… Un mur quelque peu noirci par endroits montre une scène banale d’un vendeur ambulant avec ses marchandises sur une carriole chapeautée d’un parapluie-ombrelle. Je comprends vite que les gens attroupés devant la fresque veulent poser entre les individus dessinés et faire partie du tableau.
Je sors mon téléphone et je saisis la composition dans un sourire. L’homme qui s’est glissé sur la photo prend la pose devant ses amis, puis c’est chacun son tour. Pourquoi l’ai-je photographié lui ? Hasard du moment, certainement, mais pas seulement… Son regard, sa main posée sur sa jambe le rend totalement crédible. Au jeu des faux-semblants, il semble prendre sa part de bonne grâce. Ce qui me trouble aussi, c’est que le personnage peint sur la gauche lève la tête vers lui, comme s’il était entendu qu’il soit plus grand. La confusion du trompe-l’œil s’installe happant le sujet et le fondant dans le tableau de rue. Tout le monde est à sa place, en 2D ou en 3D, l’œil n’y trouve rien à redire, le cerveau aplatit ou rehausse, c’est selon. Jeu du faux-semblant augmenté, l’artiste y a pensé, lui qui a laissé un espace suffisant entre deux de ses personnages pour que n’importe qui puisse s’y glisser et faire partie de la composition.
Pluie qui liquéfie le temps, les choses, les êtres. Humidité partout qui grignote les murs, les noircit, les fait transpirer, peu d’espace laissé sur le trottoir pour y mettre les pieds chaussés dans de vraies chaussures et non dans de pauvres tongs comme le marchand ambulant ou de sandales bon marché, non, le nouveau-venu arbore des chaussettes rayées dans des Nike, le must, son polo aux manches courtes turquoise tutoie les manches de la chemise vert foncé du marchand aux lunettes de soleil ; sur sa poitrine, une flamme, son école, son club sportif, on imagine que le 59 correspond aux années passées depuis sa création, l’air suffisant du poseur raconte l’ascension sociale que les deux autres n’ont pas connue, à moins que ce ne soit que faux-semblants et apparences. La rue est-elle un espace où chacun prend une posture et trompe l’œil de l’autre. Mais l’autre n’est pas dupe, lui qui attend son tour pour rentrer dans la photo et se fondre dans le réel augmenté.
Photo : Michèle C. Penang, Malaisie, 2019
oui son attitude et le regard des deux autres vers lui, merci pour le texte et la photo si expressive