Aussitôt Nan Goldin évoquée, aussitôt surgissait le souvenir d'une photo qui n'existe pas. Un homme nu est allongé dans un lit aux draps froissés, l'air absent. À sa droite une femme assise, nue ou presque nue, fume une cigarette. Elle est encore là, il est loin. Alors que je tente de traverser autrement l'exercice, cette image revient frapper l'écriture. Et me saisit comme un mystère. Je la cherche. Cette photo imaginée n'a jamais vu le jour. C'est pourtant, assurément, une photo d'elle.
Putain de sentence en latin; après le coït, tout être vivant est triste, à l’exception du coq et de la femme. Triste voulait aussi dire cruel, impitoyable. Femme, je ne suis pas triste. Je le regarde sans qu’il me voie. Il va s’autoriser à dormir bientôt. Je vais m’agiter, lui parler, allumer une cigarette, l’odeur va l’emmerder. Il baille, regarde rien, fait semblant de m’écouter, se frotte les yeux, va s’endormir, va me serrer la gorge. Dors. Et que ta chaleur disparaisse. Alors cette phrase d’Annie Ernaux; longtemps, j’ai fait l’amour pour m’obliger à écrire.
Sur la photo de Nan Goldin, la femme à la veste noire est allongée dans l'ombre de l'homme assis au premier plan. De profil, il fume, torse nu face à la lumière. Il fume encore sur la photo accrochée au mur derrière elle. Entre les deux images de cet homme c'est son regard à elle qui attrape mon attention, ce regard que j'avais retenu pour fabriquer une photo qui n'existe pas, produit de ses milliers de photographiés froissés, chauds, lits habités, chambres vides, visages absents des hommes, de celui-là en particulier, présence centrale des femmes qui regardent les hommes qui ne les regardent pas.
C’est un texte qui résonne. Combien de photos n’existent pas dans une histoire, combien se réinventent alors. En cela, rejoindre Annie Ernaux…