Fumier de lapin ! tu crois que j’te vois pas ? j’t’entends tu sais, qui gratte à côté, j’te vois derrière cette porte, tes griffes sur un bout de tissu, et c’est sûrement le tapis, j’vois bien comment tu peux faire, là dans le salon, c’est pas parce que j’suis dans le bureau, j’t’entends sur le tapis, un coin patchwork coloré, ce tressage de bandes de tissus de récup que t’effrites, ou alors c’est la couverture sur le canapé, les fleurs et les arabesques multicolores, j’sais pas c’que tu leur veux, le canapé on s’en fout à la rigueur, il est tout fripé, il perd toutes ses écailles en skaï, le beau pelage gris souris ça devient une peau de rhinocéros blanc, ça tu peux y aller, tu pourrais t’défouler sur ce sale cuir, sur les têtières ou les accoudoirs, vas-y, mais pas la couverture à bandes multicolores, pas les fleurs et les arabesques rouges et bleues, ni les coussins blancs, va pas m’faire un trou là-dedans, y a déjà assez des chiffons dépecés, d’ailleurs j’vois déjà comment tu vas t’retrouver sur la table basse, la table carrée, la table noire, avec un DVD qui traine, une petite pile de CDs, des livres, le chiffon jaune, peut-être mon journal, et c’est le chiffon jaune que tu vas attaquer, à coups de pattes secs, tu t’seras frotté le museau au bord du vase transparent, et le bec de la poule noire dedans, l’espèce de poule sèche à crête rouge sur un tas de petits galets, qui penche avec sa patte cassée, et puis j’sais pas quoi aussi, un étui à lunettes j’crois, tu t’frottes le museau quand ça dépasse comme ça, en lâchant une poignées de crottes, et puis le chiffon jaune que tu grattes à coups secs, et des coups de dents, et pas touche au journal ! sinon j’te renvoie dans les roses de ta caisse, t’auras tout le journal qu’tu veux là, un vieil Aujourd’hui en France, ça tu peux y aller aussi, tu peux gratter, dépecer, déchirer à coups de dents, vas-y, des feuilles y en une couche, c’est juste qu’il faudrait pas qu’tu les tires toutes d’un coup de tête, parce que j’suis sûr qu’elles sont pas sèches le feuilles, t’as dû m’faire une belle tache ni blanchâtre ni jaunâtre, et trois lâchers de crottes pas sèches du tout, si tu m’fous tout en l’air ça va pas arranger le coin de tapis où s’trouve la caisse, il a assez jauni comme ça, et puis la caisse, dessous, elle va en prendre un coup, ça finit par traverser tout ça, elles sont pourtant assez épaisses et solides les caisses en carton de La Perle sucrée, et c’est à croire qu’on s’est foutu d’moi en m’les donnant, un nom comme ça pour une caisse à lapin, au milieu de dizaines de crottes sur le tapis et le carrelage ! mais j’sais pas c’que tu mets dans ton espèce d’huile, de suc, d’acide, on dirait du lait de figuier mais j’peux t’dire que ta solution d’encre sympathique, ça attaque tout, même le carrelage quand c’est sec, dessus, t’enlève pas ça comme ça, tu t’retrouves avec une tache blanche, comme une pellicule de calcaire qui s’dissout avec du vinaigre blanc, et ça sent pas la rose, et d’ailleurs tant qu’j’y pense faudra que j’vérifie qu’tu m’en as pas mis derrière le caisson de basse et le cochon multicolore qui trône dessus, t’aimes bien t’glisser là-bas derrière et j’sais pas c’que t’y fais, tu restes jamais longtemps et tu m’bouffes pas les fils, pour l’instant, mais tu disparais, et tu réapparais, le lapin qu’on sort du caisson, et qui m’a peut-être fait une belle tache indélébile sur le carrelage, dans le coin, et encore le carrelage ça va, mais t’avise pas d’me refaire ça sur le meuble télé, c’est du Ikea en promo mais quand même, y a toujours pas de grosse rayure sur la surface laquée, il brille encore, là, le gris souris, va pas m’laisser une flaque sous les pieds chromés du grand écran ou à côté des boîtes de jeux qu’t’essayes de grignoter au passage, c’est qu’tu m’l’a pas arrangée la boîte du Labyrinthe, Dada elle dirait Olé toute rougnée chette bouète, toute une arête, et pas sur les mini enceintes et sur les télécommandes, en plus sur le noir ça s’voit trop, parce que j’sais pas comment tu t’débrouilles mais t’arrives à en foutre une giclée de temps en temps sur l’écran, tant qu’il est allumé ça va, on y voit rien, c’est fou d’ailleurs, comme toute cette lumière intérieure ça efface les traces, ou alors c’est qu’t’es happé par c’que tu regardes et tu les vois plus, et puis quand t’éteins, et surtout quand le soleil donne en plein dessus le matin, un beau rayon par la fenêtre, et elles réapparaissent les petites coulures, et on les voit bien et c’est comme si ça coulait encore sur la surface de l’écran noir, hein ? la Noisette à perles !
On l’entendait mais on le voyait en même temps, c’est vrai, c’est pas parce qu’on reste là, enfermé dans le bureau, à la table de travail, à taper, à gratter comme lui au fond, sur le clavier, la toile du monde dessous sur le tapis de souris géant, en nuances de gris, et quelques mots en jaune, un peu à droite l’écran noir, ouvert sur une page Word, en thème sombre écrivant blanc sur noir, sur son socle rectangulaire un essuie-lunettes beige, plié en trois accordéon, un mini mètre d’un mètre à bord orange, des mousses anti-bruit violettes, dont une sur la boîte de jeu des Inrocks, hexagonale, qui sert de support, une clef USB noire, au pied de la boîte l’étui des bouchons d’oreilles pas rangé, le stick d’aromathérapie blanc douceurs de Provence, rapporté de la séance d’IRM, un petit Post-it vert retourné, vierge, le flacon en plastique orange de gélules de levure de riz rouge à prendre chaque soir, deux après le repas, la souris ergonomique noire, derrière une mini lampe type Mag-Lite, ma montre chromée au mécanisme visible, arrêté, et en pile un cahier à spirale noir, un bloc-notes orange, un carnet de note noir, un autre bloc-notes presque vide, et dessus une édition du Malade imaginaire, à gauche un bloc de livres, alignés, empilés, lus et pas lus, le téléphone sur l’un, étui doré usé, rongé, une fiche cartonnée noire remplie de fiches adhésives de petites et grandes tailles, à pointes triangulaires ou rectangulaires, en vert, orange, rose, bleu, jaune, et glissés dessous, couchés sur le bloc, deux tout petits livres blancs, les titres visibles sur la tranche, deux Polder, 193 et 194, Claire Cursoux, Une Mémoire de lait, et Nathalie Quoirez, Kaïros, à côté la lampe en bois en forme de poire, abat-jour beige, sur une pile de gros et petits livres, derrière l’ancienne petite tour d’ordinateur noire, une statuette y trône, reproduction grandeur nature de la Vénus de Willendorf, le corps façon Magritte, en forme de visage mi-humain mi-animal, l’étui d’un calendrier à photos du Patrimoine de l’humanité, avec dedans, ressortant en désordre, du courrier, et la tête du livre de Gérard Wajcman qui ressort du bloc, L’Interdit, et devant, le lit, la couverture rouge, la fenêtre aux volets fermés à gauche, une chaise en paille, un tableau à cadre gris, fond blanc et motif central coloré indistinct, à droite la bibliothèque et la porte ouverte, vue sur la porte à galandage entrouverte, masquée en grande partie par l’écran, en face les portes de placards coulissantes grises, montants métalliques brillants, la lumière tamisée de l’ampoule du haut, celle plus vive à gauche de la lampe, directement sur les pages ouvertes, piquées de petites taches jaunes, deux blocs-paragraphes pages 14 et 15 de Malone meurt, on le voyait rien qu’à l’entendre, en tapant, en grattant en somme, la matière du réel, enroulée dans celle de la phrase, comme dans une perle sucrée, et pas de je merci, pause, Alt-Tab et barre Espace, la lecture de la vidéo se relançait, et c’est comment on peut se détacher de là où on est ? comment, euh photographier, je vais prendre mon petit truc à moi qu’est un gros truc ! mais, si je prends en photo, tout ce qui est juste là… ! parce que, je n’en suis pas exempt… comment… ça crée par la représentation, une résistance qui s’… s’insère ici ! au même, au même endroit et qui, paradoxalement, par… claquement de doigts, et qui paradoxalement, affirme… ! la beauté, le désir, le… l’extrême, ou le risque, ou la beauté du risque… de, ce qui, est là devant vous, parce qu’on, le cadre, et qu’on le photographie, mais, qui vous inclut parce que, vous ne feriez pas cette photographie si vous n’étiez pas, vous aussi, partie prenante, et pas, en tout cas photographe de passage ou photographe, en reportage.
A propos de Will
Formateur dans une structure associative (en matière de savoirs de base), amateur de bien des choses en vrac (trop, comme tous les grands rêveurs), écrivailleur à mes heures perdues (la plupart dans le labyrinthe Tiers Livre), twitteur du dimanche sur un compte Facebook en berne (Will Book ne respecte pas toujours « les Standards de la communauté »), blogueur éphémère sur un site fantôme (willweb.unblog.fr, comme pas fait exprès).
2 commentaires à propos de “#photofictions #03 | La Perle sucrée”
Il me semble qu’il y a une analogie entre vous, photographe et ce que vous photographiez, et le lapin qui hésite, revient, repasse, abîme mais se délecte ? « j’sais pas c’que tu mets dans ton encre, ça attaque tout, « . j’aime beaucoup votre flie douce.
Oui, mais j’avoue que c’est un peu facile cette image, dit comme ça, avec l’encre. Il manque quelque chose. D’ailleurs, j’y suis revenu, j’ai un peu modifié pour amener la chose avec d’autres images. Pas sûr que ce soit mieux. — Merci Simone.
Il me semble qu’il y a une analogie entre vous, photographe et ce que vous photographiez, et le lapin qui hésite, revient, repasse, abîme mais se délecte ? « j’sais pas c’que tu mets dans ton encre, ça attaque tout, « . j’aime beaucoup votre flie douce.
Oui, mais j’avoue que c’est un peu facile cette image, dit comme ça, avec l’encre. Il manque quelque chose. D’ailleurs, j’y suis revenu, j’ai un peu modifié pour amener la chose avec d’autres images. Pas sûr que ce soit mieux. — Merci Simone.