Dans cette lumière douce et basse c'est elle, cette jeune femme, la trentaine, ces yeux bruns, cheveux courts et noirs, une frange. Elle porte une chemise à grands motifs ethniques, on est en 1972. Les paupières inférieures sont gonflées, enveloppées d'ombre et de mascara défait. Elle sourit, un de ces sourires qu'on va chercher loin. Elle est assise devant une table, il y a un peu de vaisselle qui traîne, un sucrier, un pot, une grande tasse, sans doute du café. Dans la main gauche une cigarette qu’elle vient d’allumer, qu’elle tient entre l’index et le majeur, la pulpe du pouce en appui sur le filtre, à l'annulaire elle porte une chevalière. Derrière elle le flou de l’appartement dans le grain clair de l'image, un placard entrouvert, la géométrie d’un meuble. Dans l'air l'odeur de la cigarette, du café, peut-être celle du parfum pour homme qu'elle portait à l'époque. Les sons seraient les bruits domestiques, le moteur du réfrigérateur, une horloge, la circulation assourdie en bas sur le boulevard.
Au moment de la photo il y a eu un silence, j’ai eu un peu peur, les petits étaient sortis. Les matins devant le café quand les petits sont pas là j’ai peur, j’ai peur que le téléphone sonne. Oh je sais bien ce que tu veux, un de ces sourires que je ne sais plus faire. Tu voudrais que je te regarde, que je te rassure, quand je ne fais que me demander pourquoi, quand je sais que ce ce sera sans fin. Ça vient, ça cogne, c’est tous les jours, pour ça que mes paupières gonflent. Mais ne t’inquiète pas je vais m’acharner, je vais vivre, je vais fumer trop, gorger mon café de sucre, je me raconterais des histoires qui tiennent debout, tout ira bien. Je vais faire le vide, oublier ce qui devait arriver, je suis celle à qui ça devait arriver n’est ce pas ? Ne me demande pas de parler s’il te plait, je voudrais m’arrêter, que la douleur s’éloigne. Je voudrais me souvenir, me souvenir de la lumière du matin à Oran. Dis-moi que va t’il se passer maintenant ?
J’ai l’impression de la connaître cette photo.
oui celle de la précédente consigne, je suis pas sûre de pouvoir l’utiliser pour chaque proposition, mais là elle s’y prêtait.
toujours cette délicatesse chez toi…
j’ai gardé l’odeur du café et de la cigarette dans mes cheveux après la lecture
merci Françoise, sûr que j’y vais doucement avec mes morts
« celle à qui ça devait arriver » : oh non… (quelle émotion…)
Piero, oui y avait ces histoires de destin, beaucoup
« Derrière elle le flou de l’appartement dans le grain clair de l’image, un placard entrouvert, la géométrie d’un meuble. » et l’attente d’un sourire. cette émotion à te lire toujours
« quand les petits sont pas » il me semble que le « ne » manque