- Suite de l’Homme au masque avec l’Homme au chapeau. Plus le même chapeau, maintenant un chapeau melon. Essai en forêt, flash en arrière, un grand manteau, le chapeau melon. Rappel de cette vision fantasmée d’une femme au Pérou se découpant dans la nuit avec son chapeau melon et sa tenue traditionnelle, dommage je n’ai pas la photo. A-t-elle seulement existé ? Le flash sera positionné derrière, vers le haut, seulement la silhouette et les arbres qui seront éclairés. Sur quoi faire la mesure de lumière ? Comment régler le flash ? Appareil en autoportrait, télécommande sans fil.
- Panoramique paysage carte postale le ciel, la plaine, les céréales, le dispositif sur pied, le paysage à 180°. Mettre l’appareil sur un plateau, le faire tourner sur son axe. Panorama dans Lightroom. Le ciel qui occupe tout l’horizon. Beaucoup de vent, les nuages sont majestueux. Les trois fermes encore debout, les serres, les champs devant. Pour dire quoi ? Quel est le narratif ? La beauté d’un paysage doit-elle suffire ?
- Revenir sur le quartier, des allées de haies vertes, étouffantes, seuls passages entre les maisons qui se ressemblent toutes, impossible de se retrouver. Au bout, parfois, un bout de maison, de toit, rendre l’étroitesse du passage, rendre la banalité du bâti. Appareil sur pied. A deux mètres du sol. Série Chevry 2. Transposable quelque soit le lieu. La même focale, le même angle de vue, insister sur la géométrie, sur le rendu graphique (Shore, Mérian, Delcourt, Les nouvelles Topographiques, mais aussi les pylônes cf les Becher)
- Pour Chevry 2 ? Les monticules d’herbe, là pour protéger, mais plus tard qui sont des pièges pour éviter que les gitans viennent. La route coupée, le monticule. Pourquoi pas quelqu’un face à la route coupée ? Un vélo au sol, l’homme devant ou au sol qui gît au milieu de la route qui mêne à rien ?? Cf Crewdson, penser au narratif. Recruter quelqu’un, un acteur ?? Lumière naturelle ou fill-in pour rendre la scène la plus artificielle possible.
- Chevry 2. La vue de loin du lotissement, les grands arbres, les maisons qui s’alignent le long d’un champ de céréales. Quitter la carte postale, revenir à l’opposition entre ces maisons toutes identiques et l’espace. Le mystère des vies rendues minuscules par l’éloignement. Utiliser le TSE pour modifier la profondeur de champ, jouer avec la netteté.
- Le bois, le réservoir d’eau, les tags sur les murs, au milieu de la forêt, le grillage rouillé, toujours là ? Toujours ces ambiances à la Stephen King. Prendre un type à capuche devant, un outil, un objet à trouver, en faire une série avec le talus.
- La forêt, les tas de bois, l’amoncellement de débris, la forêt en coupe claire, tellement claire qu’il n’y plus que des troncs étroits. Instagram, l’écologie, le mal que fait l’humain sur les forêts qu’il a lui-même installé.
- Les gens dans leur maison, avec leurs chiens, les prendre avec bienveillance, de l’anonymat du lotissement, une vie paisible réconfortante, être le photographe de cette vie, photographe social (Thomas Struth?). On paye pour cette vie paisible, pour le marché où les gens discutent, pour le collège sans histoire, pour la vie organisée pour en diminuer les tourments. Photos d’identité et de famille. Des gens avec des bébés surtout, de l’amour.
- Plus proche, chez soi, une vie de famille en solo avec trois enfants. Des vies d’enfants et d’ados. Le téléphone dans la main. L’ordinateur, une vie connectée. L’éclairage par le téléphone. Utiliser uniquement le Fuji. La photo de l’intime, du spontanée. Pauline et Pierre ? Plossu, mais plus simple, sans l’esthétique du noir et blanc. Voir la colorimétrie? Essayer les outils de Color Grading.
- Autoportrait, appareil au bout d’une girafe à 90°, prendre en plongée sur le lit. Nu. Sans rien, juste un mec de 49 ans allongé sur un lit. Éclairage indirect de côté, faire des essais. L’inverse de l’Homme au masque. Moi, sans le chapeau qui cache le visage, sans le masque à la main. Sans aucun artifice autre que celui de la prise de vue.
Tu t’en souviens de ce studio de l’Ecole d’Arts ? Au deuxième étage. Les élèves autour de G. Le plateau avec les projecteurs, les boîtes à lumière, le support des fonds, les grandes fenêtres obstruées avec des rideaux noirs. Les élèves se répartissaient selon leurs besoins, certains le labo immense, d’autres une discussion sur une série en cours et toi, ce soir-là, le studio. Un tabouret, un fond gris, le projecteur allumé, un vieux manteau, un chapeau, un masque blanc à la main. Le visage est caché, seul le masque est visible… Tu voulais un éclairage qui reproduise celui qui viendrait d’une fenêtre. Tu avais en tête ton tableau, un personnage énigmatique au centre d’une pièce en maquette, le tout monté sur Photoshop. C’était ton œuvre. De la série, il n’y a eu que deux photos. La troisième n’a jamais été plus loin qu’un shooting dans un studio parisien avec un mannequin. Pourtant tu avais ton SIRET, tu pouvais dire, « je suis photographe », tu pouvais l’écrire sur les fiches d’inscription des enfants, sur tes documents officiels. Tu t’es sabordé. L’Homme au masque a eu raison de toi.
C’était vendredi dernier, ta fille est assise à ton bureau, devant ton ordinateur. Tu as tes enfants pour la semaine. Ton appareil photo est sur la table. M a une attitude intéressante, la position de la main vers sa joue, l’angle qui se forme avec son visage… Tu montes debout sur l’accoudoir du canapé, tu la prends en plongé, à l’ouverture maximum, en faisant le point sur l’œil. La photo sera parfaite pour Insta. Tu reposes l’appareil. Tu feras ça après, quand elle sera couchée. Tu recadres l’image, tu modifies les couleurs et tu la postes sur Insta, un titre, quelques hashtags. Il n’y avait pas Insta pour l’Homme au masque. Tu avais un blog, flaquedeau… Tu animais encore l’atelier d’ABM. Quelques like du Japon, de France, d’Angleterre… Des gens que tu ne connais pas mais qui like ta vie, ta fille que tu exposes sur les réseaux.
Tu es au volant de ta voiture. Une route de campagne d’Ile de France. Elle t’a envoyé un message pour une photo d’identité. Tu laisses les enfants une heure un samedi après-midi. Ce n’est pas long. Une photo d’identité, l’autre jour, tu as fait ça en cinq minutes. Les enfants assis à même le sol, devant un mur, en deux prises c’était fait. Tu fais beaucoup d’identité. Tu n’as pas envie d’être reconnu comme le mec qui fait de l’identité, tu préfèrerais un joli petit couple ou des enfants qui courent dans tous les sens. C’est comme ça, tu es photographe social, ça fait partie du job. Tu le reprends douze après. Tu as accroché l’Homme au masque dans ta chambre, une première… Tu l’as même exposé. Douze ans après tu l’assumes enfin cette photo. Tu arrives devant le pavillon tout propre, un quartier pavillonnaire tout neuf, les arbres sont encore frêles, les pelouses fragiles n’ont pas survécu à l’été. Après ta série sur Chevry, tu as l’œil pour ces endroits. Ça ne se passe pas bien. Tu fais n’importe quoi, tu vas trop vite, te sens que la séance t’échappe. Aucune photo ne convient. Tu perds ton temps pour rien. Ils ne voudront pas faire une autre séance de toute façon. Au bout de quarante minutes tu laisses tomber. Mais tu reviendras. Il faudra la faire cette photo.
Bonjour Antoine
Merci pour ce texte très technique et pour ce texte très intime. L’écart entre les deux est intéressant.
Merci Fil pour votre lecture!