L’enfant prend le téléphone de toute sa paume et fait le tour de l’appartement. Il photographie les oranges laissées sur le plan de travail après qu’elles aient été pressées pour le petit déjeuner, un doudou posé sur la table, son bureau, le motif d’un coussin de très près, une tasse à café, la poubelle ouverte, une casserole laissée sur la plaque, la vue du parking par la fenêtre de sa chambre, un panda en peluche installé sur son tabouret, un morceau de brioche entamé posé dans une assiette blanche.
Par la suite, l’enfant s’est vu offrir un petit appareil photo qui fait de vraies photos. Il tient plus facilement dans sa main. Debout, immobile, il tient l’appareil devant lui, les bras légèrement fléchis, et s’approche du sujet de sa photographie, se place à la bonne distance et avec un grand sérieux appuie sur le déclencheur. Et il recommence avec aisance d’un sujet à l’autre.
Quand le soir les adultes regardent distraitement leurs téléphones, affalés dans le canapé, ils retrouvent les photos qu’ils avaient oublié dans les remous de la journée. Surpris, ils se redressent, replacent les coussins en un appui solide dans le bas de leurs dos et se rapprochent l’un de l’autre pour regarder défiler les photographies des objets inertes de leur quotidien prenant vie par le regard de leur enfant. L’extrême proche est rendu visible, dévoilé comme l’essence même de leurs efforts quotidiens, comme si tout était déjà là. L’enfant le sait, l’adulte le découvre à nouveau.
Il est temps d’aller se coucher. Ce soir ils veulent s’approcher au plus près du sommeil de l’enfant, ils poussent doucement la porte de sa chambre, retiennent leurs pas pour le faire léger et s’approchent du lit. Ils se laissent bercer par le va et vient du souffle bas qui ancre la journée plus profondément. Ils déposent un léger baiser sur le front de l’enfant, entendent le souffle qui s’accélère. L’enfant remue en un grognement léger que déjà ils repoussent doucement la porte de la chambre derrière eux.