Il avait profité d’un instant d’inattention pour s’en emparer. La table était recouverte de vaisselle. On avait mis les petits plats dans les grands. La fête se devait d’être à la hauteur de l’événement: pas moins de trois générations étaient réunies autour de la table. Le repas s’étirait en longueur. Autour de moi les paupières étaient lourdes et les estomacs remplis. L’un de ces moments bien trop rares ou l’on touche du doigt la perfection de l’instant présent. J’eu juste le temps d’apercevoir sa frêle silhouette s’approcher de la cheminée et faire disparaître mon Kodak que j’avais posé quelques instant plus tôt entre les deux chandeliers. Amusée par son attitude un peu maladroite de pickpocket, je le laissais faire tout en l’observant du coin de l’œil. Après s’être assuré que personne ne l’avait vu, il alla s’assoir dans le coin près de la fenêtre qui donnait sur le jardin et tout en tournant soigneusement le dos à la table, sorti son butin de dessous son teeshirt. L’appareil photo était un peu trop grand pour ses petites mains et il était obligé de le tenir de sa main gauche tout en appuyant sur le déclencheur de son index droit. Il resta un long moment dans le coin absorbé par quelque chose sur le plancher. Ensuite il se leva et je le vit se poster à l’entrée du salon, derrière le buffet où il était plus à l’aise car il pouvait désormais poser l’appareil sur le dessus du meuble. Il se croyait invisible et son index qu’il sortait avec milles précaution de sa cachette venait appuyer sur le déclencheur selon une logique que je ne saisissais pas. Puis, sans prévenir, il passa à un autre jeu que seule son imagination d’enfant pouvait comprendre, oubliant même de remettre l’appareil sur le manteau de cheminée ou il l’avait dérobé. J’essuyais en souriant les petites traces de doigts un peu collantes sur l’appareil avant de le ranger dans son étui en mousse.
Le hasard fit que ce n’est que plusieurs années plus tard que je développais la pellicule. Et y trouvais entre les traditionnelles photos de groupe et les portraits en tenue du dimanche une série de clichés:
Une mouche, tâche noire sur la vitre poussiéreuse derrière les rideaux blanc à moitié fermés.
La miette un peu floue car prise de trop près du gâteau avec son glaçage de sucre blanc sur une latte du plancher.
Un œil rond, mal cadré, probable tentative d’autoportrait.
Ma mère et mon père de profil dans le canapé de velours orange. Papa est en train de boire une coupe de champagne et son bras cache à demi son visage.
Plus quelques autres clichés: plafond ou murs blancs avec un petit doigt qui barre en partie l’objectif.
Je les garde depuis précieusement comme le témoignage le plus fidèle de ce qui me reste de ce dimanche en famille.
Bonsoir Géraldine
Merci beaucoup pour ces quelques photos candides prises à la dérobée.
Voilà de l’extrême proche avec un regard au large ouvert.
Merci Phil de tes lectures fidèles !