Les épis couleur de blé mûr ondulent parmi les touffes compactes de gourbet. Le nain bondit, danse et chante. Durant des mois, file la paille au rouet, la change en or. La jeune paysanne promet son premier né. La silhouette des ifs, noire, accidentée fait l’effet d’une muraille. Au-delà du massif, les dunes se muent en canyon. Une vapeur dorée embrase le paysage strié dont les lignes obliques plongent vers l’océan absent. Mars autrefois recelait de l’eau liquide en surface. Sous l’effet de la baisse de l’activité volcanique et d’un affaiblissement de son champ magnétique, la planète perd son atmosphère. Dans l’air saturé de spores, les détails se diluent. Les rayons du soleil irradient l’ épi duveteux, chaton ou queue de lièvre, qu’ils nimbent d’une lumière irréelle. L’appareil rend à la prise, ce filtre opaque orangé qui se colle à toute chose.
21h, mois de mai. Une vapeur pailletée s'élève des dunes. Le chemin de caillebotis est bordé de pieux joints par un fil de fer. Il ne fait pas chaud. Il ne fait pas froid. Il y a dans l'air une âcre odeur d'iode. Le soleil est jaune puis le soleil est rouge. Il s'enfonce derrière la ligne des arbres. Personne. Les bancs de bois blanc sont vides. Nul mouvement. Pas même le manège entêté de tournepierres. C'est marée haute. Avant il y a le matin, et puis après le matin, il y a le corps plongé dans l'eau froide et le café brûlant. Un espace sans intention, le mouvement et la pensée ballotés par un rythme extérieur. Le salon et les meubles bretons, la vaisselle colorée, le jardinet où poussent pommes et poires, le potager qu'éventrent les mauvaises herbes dans un désordre mi voulu mi subi.
Le paysage au travers. La membrane invisible chaque jour change de couleur. Tantôt jaune, tantôt grise. A travers le gris, le vert bleuté des panicauts. Les ifs sont mangés par le ciel. Gris foncé sur gris plus clair, le ciel comme un buvard suçant la matière. Sous les touffes d’herbe la terre gonflée. La végétation déborde, tient le sable sous ses racines : tient, contient et déborde. Par un bizarre effet d’optique, une traînée rouge au sol prend l’aspect d’une chevelure. L’ondulation figée se devine au lacis emmêlé des tiges. Les sirènes, devenues stériles en captivité ont disparu dans les années cinquante. Les dernières photographies sont encore visibles au musée de G.
La bruine tâche l'objectif. Hâte de rentrer. Sensation gluante du jean détrempé. Hier c'était tempête. Elle entend toute la nuit le fracas du vent derrière la fenêtre. Les prix à la poissonnerie ont atteint des niveaux déraisonnables.
Bonjour Marion
Un nouvel atelier qui démarre avec un foisonnement de lumières et de couleurs !
Merci.
Voici revenu le serial lecteur de cet atelier. Bienvenue et merci de ton passage.
Légende. Ivresse de sensations. Métamorphoses. L’air saturé spores nous enchante. Et loin déjà mai… Merci c’est beau
En voilà un joli commentaire, merci Nathalie!
tout regorge déborde gonfle exulte – le paysage au travers est peuplé d’immense et d’infiniment ténu. un paysage sans fin et écrit si précis. Parfois je marche dans un tableau parfois une voix invisible me conte ses légendes… Drôlement bien !
Merci ! Je suis bien heureuse que cela t’ait plu comme m’a plu ta balade nantaise !
c’est beau
c’est beau avec l’opacité du filtre, « comme un buvard suçant la matière », et tous les pollens en suspension, épis, pailles, rugueux et caressant, « végétation qui tient le sable sous ses racines »
j’en veux encore et reviendrai te lire une seconde fois
Merci Françoise! Je tâtonne depuis le premier atelier en 2021, atelier double, Faire un Livre et Progression. Quelque chose se joue qui croise le concret, le matériel, le tranché, et la légende. Je pense parfois / souvent à Éloge de l’ombre de Tanizaki, le rapport à l’ombre, à la lumière, mais aussi à la crasse, le rayonnement des choses usées. Cela nous renvoie toujours à quelque chose de statique, de méditatif. A côté, il y a le conte, la légende, imbibées de nature et d’inquiétudes dans un contexte écologique où le récit est en train de revenir vers ses origines. Comment passer donc de ce paysage traversé de voix et de rêverie, à une narration, à une structure ? Quelle forme trouver in fine pour construire un objet plutôt que juxtaposer des bribes ? C’est toujours mon souci. Il y a bien cette logique d’accumulation qu’évoque François, qui finit par construire une direction, mais je n’y suis pas encore à la direction… Peut-être lors de cet atelier, à suivre…
Marion, merci pour cette balade poétique dans un tableau sonore. Un régal
Merci Huguette!
Beauté de cette planète, de ces descriptions d’où sourdent des mémoires des voix (conte médiéval, légende antique ?), envie de lire la suite…
Pour la première c’est l’histoire du nain Tracassin que l’on appelle aussi Myrmidon. Un conte de Grimm, donc en effet initialement sans doute un conte médiéval.
voir notre monde derrière un filet orange, le revoir dans son étrangeté, quel beau texte, Marion !
Merci Catherine, je me dis que le procédé est intéressant et que cela vaudrait le coup de prolonger ce texte. A suivre…
Il y a quelque chose du conte à la Soleil Vert, aussi fascinant que terrifiant. — J’aime bien le tressage des histoires fugitives dans la description, qui la coupent et en constituent la valeur ajoutée. Et le retour du contexte. — Une forme mi-fragmentaire, mi-linéaire, en quelque sorte, qui pourrait m’intéresser. — Merci Marion.
Merci Will, j’ai un truc avec la fibre glauque je crois… continuons donc dans cette veine avec la #02 donc…
Grandeur nature, étoffe des matières friables, inapprochables, fouille irrévérencieuse de la lumière, je suis en accord, comme Françoise et Will exactement le disent
la beauté née du fouillis, ce qui fascine devient non pas nid, mais menace… premières images d’une inquiétude ?
quelque chose de Blue Velvet…
Merci Marion !!
Merci Françoise, c’est curieux cette idée de blue velvet, je n’y aurais pas pensé. Intéressant.