J’ai choisi un petit studio, cuisine séparée, au 4e étage, avec beaucoup de défauts, et une qualité : la porte-fenêtre de la pièce donne sur un petit balcon, surplombant un parking d’entreprise dégagé. Et à l’horizon le Puy de Dôme. L’ancien volcan joue avec la météo, accroche les nuages, le soleil se couche de son coté. Quand je suis captivé par le ciel, je cherche parmi moult objets mon appareil, pour un spectacle de une heure à deux heures. Les variations de couleurs et de formes sont parfois très rapides. Pas de rappel.
À mon emménagement, j’ai un appareil compact fuji x20, zoom intégré, pas d’objectifs interchangeables, pas de poussière sur le capteur à faible ouverture. Je privilégie la mise au point automatique, mais choisis souvent des photos plus sombres par la vitesse ou l’ouverture que l’auto. Je ne suis pas photographe, je découvre. Je le trouve déjà encombrant par rapport au petit appareil que j’avais avant.
Je suis plombé par une journée de travail physique, une chape qui donne des sensations corporelles semblables au mélange de fatigue et d’euphorie après une randonnée ou n’importe quel sport d’endurance. Je m’efforce aussi de m’étirer, c’est à ce moment là souvent que le ciel me happe, ou alors en faisant la cuisine, ou en discutant par messagerie. Le ciel m’interrompt souvent, oui. Parfois il y aussi des cris, les cris des voisins qui s’engueulent entre eux dans l’autre colonne, d’un étage à l’autre.
Je m’avance vers la porte-fenêtre, voir le temps qu’il fait, café à la main. La vitre est froide, comme la ville. Je prends des photos à travers elle, sans ouvrir.
C’est l’hiver, les journées raccourcissent, la neige est présente dans les massifs. Mon immeuble garde la chaleur, j’en suis heureux. Qu’attendre pour la journée d’un tel ciel ? Je prends mes vêtements de pluie.
Je suis fin prêt pour partir au travail, je me baisse pour prendre mon sac à dos, je relève la tête, panique, contre-temps photographique. Je saisis rapidement l’appareil sur la table de bureau en bois. Des oiseaux passent.
Je zoome sur une image, règle avec une appli, je poste, c’est granuleux comme le temps. L’horizontalité des réseaux sociaux d’image me permet parfois de découvrir des artistes auxquel(le)s je n’aurais pas eu accès autrement. J’apprends que des vidéastes peignent leur pellicule.
L’année commence sous de bons augures.
J’ai changé la position du lit. Je suis allongé sur le dos, les jambes en équerre vers le haut, contre le mur. Tournant la tête vers la droite, j’abandonne tout, bascule, je regarde quelques minutes, je me décide, je parcours la pièce, fouille une sacoche, sors l’appareil, qui a changé de nature. Je transfère ensuite les images sur mon téléphone portable par la dent bleue depuis l’ordinateur, parfois par wifi direct depuis l’appareil, et de là les poste sur les réseaux sociaux, souvent toujours en faisant des étirements.
Assis sur mon lit, devant une petite table faite de fer, de céramique, et de lattes de bois, je bois mon café. J’ai entendu l’idée que je prenne des photos au taf, pour la com sûrement, ça n’intéresse pas mes supérieurs d’ici. Je laisse filer l’idée, aujourd’hui je regrette de ne pas avoir plus photographié la ville au cours de trajets, à Lyon particulièrement. Les pauses clopes sont acceptées, mais les pauses photos ? Gêne à prendre des passants surtout.
En attente de journées plus douces.
La tapisserie de mon studio est orange. Sous la porte-fenêtre, le papier est gâté par l’humidité, il est sombre, gondolé. Le pan plus à droite est lui lardé de stries blanches. Je ne l’avais pas vu lors de l’état des lieux.
J’ai maintenant un boîtier apsc, Fuji toujours, comme le Mont, trois objectifs modernes. En discutant à la brocante du quartier le premier samedi du mois, j’ai découvert qu’il était possible d’adapter de vieux objectifs, à petit prix. Ce sont souvent eux que je préfère, ne serait ce que pour me forcer à comprendre, et puis c’est un plaisir de les découvrir dans des caisses en vrac ou des sacoches en cuir. Parfois il y a les factures, rédigées en francs, parfois des bouts de papiers avec des annotations. Je récupère sans connaître un primoplan 75, abîmé par du mycélium. Je le démonte, avec curiosité, le nettoie tant bien que mal. Les lentilles frontales sont dégradées, le traitement mangé. Les photos sont souvent ratées, pâles, mais pour moi tout n’est pas à jeter, j’apprécie certaines transitions. Souvent je prends la photo depuis l’intérieur de mon appartement, en ouvrant largement les portes du balcon. Si je m’avance trop, mon voisin latéral ne manque pas d’engager la conversation de balcon à balcon. Parfois je recule, et je dois faire attention au mobilier de la chambre.
Parfois le paysage et le ciel n’offrent qu’une faible ouverture, sous de lourdes couvertures de nuages.
Un chat gris arpente son immense territoire, le parking déserté. Une lumière a été oubliée à un bureau.
Je choisis un objectif ancien. Une voiture de vigiles tourne sur le parking. La pluie ne suffira pas à refroidir l’immeuble. En aidant mon voisin à démonter son évier, j’apprends qu’il date de 1972.
On passe la nuit la fenêtre ouverte, comme tout le monde. Des cris de dispute alcoolisée, un arrière-fond de musique, s’étendent depuis la place du 1er mai. Des travaux nocturnes sur la ligne du tramway viennent étouffer le tout. J’éteins la lumière pour mieux prendre la photo.
Je choisis encore le primoplan, on ne sait jamais. Il est argenté, la bague est dure, l’infini n’est pas parfait je crois, je rajoute un peu de couleur et de contraste ensuite.
Je ne sais pas quel temps il va faire. Le baromètre anéroïde indique variable. L’effet de foehn agira peut-être.
Je passe l’hiver au chaud, j’ai quitté mon manteau de fatigue. De vieilles revues reliées commencent à remplir la petite bibliothèque. Un collectionneur bibliophile m’en apporte, surpris de mon intérêt. Il me parle autour d’un café pris debout du sol de certains chemins du coin, couvert d’humus de mousse et d’épines. Il regarde un instant au-delà du mur, comme si quelques traversées de forêts et de clairières s’y déroulaient.
J’utilise un objectif 100mm canon fd, et un adaptateur. De plus en plus d’objets hétéroclites s’amassent dans les étagères, les armoires, des boîtes, sur les meubles sur le bureau. Il y a de moins en moins de surface libre.
Je continue à essayer des objectifs des puces. Je lis un article sur la querelle du vide. Fin 1647, Pascal demanda à son beau-frère de faire dans une même journée, pour se délasser, une expérience de mesure d’une colonne de mercure, transportée de Clermont-Ferrand au sommet du Puy-de-Dôme. Le mauvais temps et la brume repoussèrent la balade bucolique de plusieurs mois, jusqu’au 19 septembre 1648. La différence de niveau dans le tube permit à Pascal de prouver que la nature n’avait pas horreur du vide, en même temps que l’existence du poids de l’air.
J’habite près de la rue Gainsbourg.
Pendant de longs mois, une grue officie. Un immeuble se construit en face, il va venir boucher la vue sur le bas du volcan. Fin de série. Déménagement.
Superbe série de photos entrelacées d’annotations parfaites sur tout ce qui entoure les prises de vues !
Bravo et un grand merci !
C’est un beau projet, ces vues sur le Mont Puy Fuji ! Beaucoup de photos sont splendides (une préférence pour le format carré) et j’aime beaucoup aussi la poésie des textes courts qui les entourent
Un œil photographique en amitié avec un paysage, un mont le Puy de Dome et son environnement si variable.
Annonce d’un désastre, la construction d’un immeuble. Il faut partir.
Embarquée complètement dans ces beaux textes et photos.
Magique! Quelles merveilleuses images!
Jolie idée, cette progression narrative avec pour support uniquement la question des photos et épatant finalement ce que ça laisse apparaitre d’éléments de vie du personnage/narrateur. J’ai noté aussi que tout ce qui ne concerne à priori pas les photo est tout de même traité sur un plan très visuel
Oui, finalement le geste photographique le plus important, c’est la signature du bail sur les plaques de cuisson, et le texte fait le contrechamp aux photos, il ferait découvrir peu à peu la pièce, l’immeuble, le quartier, la ville, de la narrativité. Par rapport à la consigne, je manque de données précises, comme quoi c’est bien de prendre des notes. Écriture visuelle, oui c’est vrai aussi, devant la page blanche de l’écran c’est un côté un peu terre à terre pour se lancer, comme le « je ».
Mais c’est si beau Laurent, merci, merci.
De rien ! La série s’est constituée par dépôt sur le hashtag (de ma pomme, pratique pour se faire une archive) #puydedomeskyart sur insta. Elle prend une autre profondeur ici.
Quel travail, c’est superbe. Un relevé paysager qui donne à voir une variété incroyable de changements du climat du mont. L’écriture elle aussi dans un relevé minimaliste précis. C’est très intéressant, merci.
Intéressée par ailleurs par votre travail sur les textes de cyclotourisme. Je vais en parler à l’association Dyna-mots (à vélo en littérature). Cela va probablement les intéresser.
Absolument magnifique ! Quel voyage avec vous ce matin au pays des images et des mots. Merci infiniment.