#photofictions #01 | prendre une photographie.

Prendre une photographie.

Quetta 1986 patrick Blanchon

Finalement j’ai revendu tout mon matériel Nikon pour acheter un Leica d’occasion, et encore il fallait que je mette au bout. Des mois à le payer à tempérament. Mais, ça valait le coup. Au bout du compte j’ai revendu aussi plus tard le zoom qui était vendu avec pour m’équiper uniquement d’un 35 mm avec une excellente ouverture. Faire avec peu, être léger et simple. Cela m’obligeait à m’approcher au plus près de mon sujet, les gens. Une sorte de thérapie aussi certainement pour régler un problème de timidité. Et puis c’était aussi une mode que cette utilisation du grand-angle. Et bien sûr je voulais être absolument moderne
Cette photographie a été prise à Quetta, Pakistan, en 1986. Le film est probablement de la Tri-X-Pan de chez Kodak, j’en avais plusieurs kilomètres et je confectionnais moi-même mes bobines. Ce jour là, j’étais dans le bazar en quête d’une pharmacie pour trouver de l’aspirine. Soudain j’ai vu cet homme et cet enfant dans une échoppe. Ils vendaient des vêtements. J’ai été frappé par leur noblesse, je me suis rapproché, et je ne sais toujours pas comment ils s’y sont pris pour prendre la pose. Un réflexe. Être photographié n’est pas banal pour ces gens. Il faut voir le soin apporté par les photographes de quartier pour retoucher les négatifs. Ils peuvent y passer des heures. Le résultat est totalement bluffant en terme de luminosité et valeurs de gris. J’ai assisté à cela bien sûr, j’ai eu le temps en attendant de trouver le bon groupe, celui où il y avait le moins de risques d’être égorgé en traversant la frontière pour se rendre à Kandahar en Afghanistan. J’ai eu le temps de sympathiser avec un ou deux de ces artisans photographes, de les observer travailler et j’en ai été fortement ému. Alors en tant qu’étranger, se trouver face à ces deux personnes, les surprendre en braquant l’objectif sur leur visage demande une bonne dose d’inconscience. On considère cela comme du culot quand on est jeune. Le résultat c’est cette image. Ils me regardent tandis que je les photographie, l’homme sourit un peu, est-ce parce qu’il considère cet effort effectué pour m’approcher et oser … je ne le crois pas. Il pose. En une fraction de seconde il s’est composé une image de lui-même tel qu’il désire apparaître sur la pellicule 36 poses d’un étranger. Il y a comme une esquisse de la même réaction sur le visage de l’enfant. Ils se moquent de moi gentiment probablement. Cependant leur posture est restée la même qui m’avait attirée vers eux. J’ai considéré en rentrant de voyage que ces photographies étaient ratées parce que les personnes y posaient. Parce que je ne les avais pas surprises dans telle ou telle expression que j’eusse volée . Mais, la pose en dit tout autant que l’expression prise par surprise. C’est ce qui me vient à l’esprit en les regardant désormais presque quarante ans après. Cette image a été recardée au format carré pour mettre l’accent sur l’essentiel, supprimer le superflu du décor dans le format d’origine 24×36.

Peut-être un incipit pour évoquer la notion de cône de vision. L’utilisation du grand angle en photographie sert surtout pour photographier le paysage. Cela permet d’éloigner le plus possible les points de fuite d’un point focal. Au contraire plus on se rapproche plus les deux points de fuite se resserrent aussi ce qui créer parfois suivant l’angle de prise de vue, la perspective, une distorsion de la réalité

A propos de Patrick B.

https://ledibbouk.net ( en chantier perpétuel)

10 commentaires à propos de “#photofictions #01 | prendre une photographie.”

  1. Merci Patrick pour cette description au plus proche, presque intime, de l’acte de photographier.
    Merci pour cette belle photo.

  2. Magnifique ! Même si je ne vois aucun signe de moquerie sur leur visage. De la dignité et le désir de ne pas décevoir le photographe. Très réussi !

  3. C’est merveilleux : moi je la vois ce fond d’ironie dans le regard, comme un éclat de rire contenu. Assez indéchiffrable. Imaginer également ces photographes et leurs retouches au beau milieu de paysages grandiose, l’objet technique minuscule qu’est un appareil photo et l’immensité au même endroit. Belle lecture en tout cas.

  4. Merci pour le dialogue muet entre le photographe et son « sujet ». La pose est adressée au photographe, et plus loin, à ce que le dit sujet imagine de ses spectateur.ice.s à venir.

  5. Je ne vois pas la pose je vois le regard qu’ils posent. Frontal et distancié. Une belle question en image

  6. Une grande question pour moi que de prendre en photo des inconnus dans des pays étrangers. Nous osons souvent à l’étranger ce que nous ne ferions pas dans notre pays d’habitation. J’ai bcp photographier les gens plus jeunes lors de mes voyages. On regarde toujours plus les corps et les visages que les paysages avec les années. Les regards restent mais demeure la question est ce légitime et qu’est ce que cela dit de nous d’oser ailleurs mais pas là? C’est une question pour moi chacun y puise ce qu’il souhaite! Merci pour ce texte!

  7. très nobles en effet.. On voit beaucoup de choses dans ces regards, c’est étonnant pour des gens qui ont posé, parce qu’on les sent alertes et aussi plongés dans leurs univers intérieur… Indéchiffrable expression, et la réflexion qui accompagne la photo vraiment sensible et passionnante