Fermer les yeux. Le sable humide, épais, se faufile entre les orteils. Le vent bouscule le front. C'est l'hiver. Les machines qui lissent la plage avant l'aube viennent de partir. Je voudrais être le sable. J'ouvre les yeux. L'instant est savoureux. Il déclenche le geste? D'abord quelques étendues. Ciel, sable, mer. Je voudrais ranger mon téléphone, ne rien prendre. Trop tard. Je dois faire des images. L’œil ne regarde plus que les lignes, les points, les plans. Les nuages ne sont plus des nuages, sont déjà des photos de nuages. Les cadres deviennent autonomes. Je prends. On dit mitrailler. La nuit et la houle ont produit des mares qui tremblent, frôlées par le vent. Elles reflètent le ciel. Je les prends. Plus tard, je vais augmenter la luminosité, les contrastes, dans cet ordre. Une manie, depuis Photoshop. Quand ce dernier est arrivé, j'étais photographe de corps dansants, silhouettes noires aux extrémités floues. Sur les fonds devenus blancs j'écrivais des phrases de Beckett avec une police de vieille machine à écrire. J'avais 21 ans et la fièvre des contrastes. Avant ça, la brillance du papier suffisait. Je m'approche des mares. La mer a dû s'agiter cette nuit. L'écume trace des formes arrondies sur le fond sombre. Je salive, je salive vraiment. Le contraste est déjà là. Les trainées blanches s'amalgament, portées par l'eau se séparent, aussi vivantes que les nuages, plus nettes que les nuages. Je cadre dans la mare pour la perdre de vue. Je prends. Plus tard je vais trier, la moitié sera jetée, comme ici les mots. Il y aura trois ou quatre fois la même image, avec une minuscule différence, un flou, un agencement subtil des points de lumière. Je basculerai la série d'écumes en noirs, blancs, gris dorés d'un filtre argentique, pour qu'elle évoque autre chose, pour l'abstraire de la mer, pour que le mot écume n'empêche pas l'oeil de savourer la forme qu'il a pris ce jour là.
A propos de Lisa DIEZ
Chercheuse polyvalente, sorte d'artiste tout-terrain. Valises posées depuis 5 ans dans les arts de la scène. Passages par la peinture, le documentaire, la photo… Et l’écriture, soutien fidèle de ces nombreuses traversées. Deux sites : www.soinartistique.fr (Collectif À la Source) et www.atelierdiez.com (vrac et chantiers).
4 commentaires à propos de “#photofictions #01 | Prendre”
Une photographie qui évoque aussi le dessin des bactéries dans une boîte de Pétri. Ce retour dans le temps et la mention brève des 21 ans ouvre une brèche qui pourrait constituer le début d’une nouvelle. Belle lecture, merci.
Bonjour Lisa
Merci beaucoup pour ce beau moment de lecture et pour cette belle photo.
Tout est là, dans la recherche de la forme : réel détaché du réel.
Merci encore.
Bonjour,
Superbe fièvre, on en tremble avec toi,
les corps dansants dans l’écume comme une plume de Michaux Merci
Une photographie qui évoque aussi le dessin des bactéries dans une boîte de Pétri. Ce retour dans le temps et la mention brève des 21 ans ouvre une brèche qui pourrait constituer le début d’une nouvelle. Belle lecture, merci.
Bonjour Lisa
Merci beaucoup pour ce beau moment de lecture et pour cette belle photo.
Tout est là, dans la recherche de la forme : réel détaché du réel.
Merci encore.
Bonjour,
Superbe fièvre, on en tremble avec toi,
les corps dansants dans l’écume comme une plume de Michaux Merci