Un ovale plus rond qu’ovale en bois lamellé épais collé à un enduit de crépi clair. Il manque quelques morceaux de bois en haut à droite comme un puzzle presque achevé. Le bois s’est patiné sous l’effet des intempéries et des embruns. Les lettres ont été gravées directement dans la chair de la planche et elles sont bien lisibles. L’eau à stagner plus longtemps dans leurs creux les a foncées au point qu’elles paraissent noires. Le fond est clair. L’extrémité d’une tige de bambou laisse ses feuilles frôler le bois dans une caresse que la photo a figé. Elles se colorent d’un jaune inhabituel. Elles porteront témoignage de la sécheresse de l’été 2022. Si l’appareil photo de mon téléphone était de meilleure qualité, le cliché révélerait des boursouflures identifiables. Il s’agit de fines ridules dans le crépi comme quelque chose qui craque depuis le dedans. La laisse que je ne pouvais pas lâcher avait retenu mon bras, empêché le mouvement de rapprochement ou de recul que j’avais besoin d’amorcer, pour déterminer la bonne distance entre le sujet et l’appareil, l’avait entravé. Un tir à la corde entre le chien et moi. Les bras tendus avec une main encombrée. Libérer deux doigts pour zoomer. Le résultat ne me satisfaisait pas, bien qu’à l’instant de la prise je ne puisse à peu près juger de rien avec la luminosité du soleil tombant sur l’écran. Il faudrait attendre le retour à la maison pour choisir lequel garder des trois ou quatre clichés pris. Je me sentais observée. Si cette villa était fermée, celles autour ne l’étaient pas. L’impression que leurs propriétaires m’observaient derrière leur rideau, prêts à intervenir, que faites-vous là, qu’il faudrait me justifier, expliquer que seule la plaque portant le nom de baptême de la maison m’intéressait, je pourrais leur faire voir les clichés, les rassurer, vous ne risquez pas le cambriolage, surtout éviter de parler de mon projet de publication, leurs cris imaginés rien qu’au mot Facebook, expliquer le choix du cadrage, surtout celui de tout ce qui resterait hors champ et pourquoi j’avais imaginé mon projet ainsi, en laissant volontairement dans l’inexistence tout l’alentour de la plaque nominative comme ne photographier d’un bébé que le bracelet de naissance, celui en plastique de la maternité où le prénom était écrit à la main il y a quarante ans ou celui avec chaînette en or.
Belle photo, Anne, malgré les difficultés que tu as eues à la prendre.
Merci pour ton texte.
Beaucoup aimé la photo et ses « entours » très riches, déjà une très belle matière !
Rétroliens : Tiers Livre | les cycles atelier d'écriture
la matière de l’intime surgit au fil des lignes, et à bien y regarder sans doute dès que le récit se lance…
et ta belle dernière image, énigmatique, forte