Oui, je pourrais me mettre là, tous les jours, prendre la même photo pour voir défiler les saisons. À des heures différentes, ne pas trop se contraindre non plus. Ça ferait une sorte de carnet-souvenir de notre année ici. Les changements seraient sûrement assez discrets, ils résideraient dans la couleur du ciel, dans l’étoffe des nuages, dans les traînées d’avion, dans les feuilles qui jaunissent avant de tomber. Il y aurait peut-être des surprises, qui sait, un éclair, des journées de neige, un écureuil ou un oiseau qui passe juste au bon moment. Et puis le lieu s’y prête, avec ce bloc de béton taillé en rectangle, là, comme un cadre déjà, il y aurait juste à poser le regard, l’appareil, enfin le téléphone qui fait office d’appareil. On n’est pas mal installés, avec la petite table carrée, les quatre chaises rouges, style terrasse. Un ordinateur, un cahier, un stylo. De l’eau fraîche. Si on ferme les yeux on pourrait se croire ailleurs. Non, c’est si se bouche les oreilles qu’on peut se croire ailleurs, si on bloque le ronronnement sans fin des voitures et des avions. Pourquoi ailleurs. C’est drôle ce qu’on sait et qu’on ne voit pas sur les photos, les noix tombées à terre que les enfants viennent ramasser, le bruit des taille-haies, l’odeur après la pluie. Peut-être que cette proposition arrive à temps, on vient juste d’emménager ici, ce n’est pas chez nous, ce n’est pas fait pour l’être ou le rester. Ça fait du bien cet air sur les jambes. Le vernis s’écaille, je dois me refaire les ongles. Qui aurait cru qu’il continuerait à faire aussi chaud, début septembre, non ce n’est pas un temps de rentrée comme dirait ma mère. Fut un temps où toutes ces dates voulaient dire quelque chose, où l’on pouvait se laisser couler le long du calendrier. Oui, ce serait bien de garder des traces de ça.
Photos © Elise Hugueny-Léger, Cergy, août-septembre 2022.
Garder les saisons dans le cadre de béton avec le joli rouge de la chaise, de quelle couleur est le vernis qui s’écaille? j’aime cette série d’images et maintenant je pense au noix tombées, au taille haies… les images s’ouvrent un peu plus. Merci
et votre lecture ouvre aussi des pistes, merci!
Bonjour Élise
Voilà un beau texte au conditionnel et une belle série déjà commencée.
Merci !
Merci à vous. Oui, ce moment de bascule entre ce qui pourrait avoir lieu et ce qui existe…
D’une simple photo, tout un monde jaillit…
Merci Catherine!
Ce que la photo retient, ce que le texte libère. Une écriture qui s’envole à partir de ce qui l’a fait surgir. Ce texte est magnifique ! Merci, Élise !
Votre lecture me touche, Helena. Merci!
fascinant ce « on » qui pour se faire les ongles devient je, mais…où est ce lieu et pourquoi y être, un hors texte qui intrigue,
Merci Catherine, grâce à votre remarque je me pose la question de la place du ‘je’…