Toute fin de journée, la lumière vacille, se prépare déjà à disparaître. Dans cet entre-deux, la chaleur ne mord plus la peau embrasée, raide et tendue par le sel. C’est l’heure où le soleil univoque cède, le père nourricier devient alchimiste, et diffuse ses traits qui extirpent et renchérissent les couleurs qui se consument en tons pastels, ambigus, à part égale avec l’ombre qui rivalise de nuances noires, mauves et fauves.
Trois couleurs découpent géométriquement l’espace de la photographie.
Le bleu, domine la partie supérieure, d’abord azur dans le coin droit, il s’éclaircit et devient laiteux en rejoignant le bord gauche.
Le moteur vrombit et peine à propulser la petite voiture sur la sente étroite et grossièrement bétonnée qui sinue, abrupt, entre les collines terrassées de la tête au pied et tachetées de chapelles et de pigeonniers blancs. A mesure que nous progressons vers l’intérieur de l’ile, la petite crique de sable vert, coincée entre deux éboulements de roches en contre-bas s’amenuise et s’efface dans la brume du soir. Au détour d’un virage, nous calons la voiture le long d’un petit mur de pierres empilées là des générations durant et je descends photographier une chapelle familiale, humble et solitaire. Conserver une trace avant le départ. [Le désir impulsif de réaliser une série photographique avec l’ensemble de ces chapelles et pigeonniers croisés sur l’ile fut tout autant éphémère qu’extravagant et pour finir mort-né].
Le blanc. Une construction rectangulaire, chaulée et d’aspect cubique, occupe le centre de l’image. L’accès est protégé par un petit muret blanc, entaillée d’un passage doté d’une grille, qui se prolonge sur la droite par des marches qui se terminent au deux tiers de la hauteur du mur ouest de la chapelle et permet l’accès au toit plat. La façade, d’une grande simplicité, presque abstraite, est percée par trois fois. Sur la gauche, une porte bleue, surmontée d’une légère avancée protégeant le seuil, est coiffée d’un triangle bleu arborant une croix discrète. Sur la droite, deux ouvertures, une rectangulaire et l’autre carrée diffuse une lumière discrète à l‘intérieur de la chapelle.
Équipé d’un smartphone doté d’une cellule rudimentaire, je tourne autour de l’édifice cherchant le point de vue qui puisse englober et capturer les sensations ressenties à cet instant. [Mais comment restituer, au-delà du visible et du jeu des lumières, les odeurs, la petite brise qui souffle et le bruissement qu’elle provoque dans les feuillages ?].
La grosse moitié inférieur est occupé par un camaïeu de brun – bistre, terre, beige – légèrement mordoré. Une coulée de béton striée épouse l’angle inférieur gauche.
Sur le petit écran, j’observe les lignes de fuites qui convergent vers une minuscule voiture blanche. La prise de vue, classique d’une certaine manière – je veux bien faire -, impose une géométrie dans cet environnement subtil aux variations infinies et fugaces et, inévitablement, rate sa cible. Mais le cliché est en poche et la mémoire suppléera aux carences tout comme elle se souviendra de cette couleur verte absente de la photographie et néanmoins quatrième champ chromatique de l’île.
On croit parfois que les souvenirs suppléent ce qui manque à l’image. Et pourtant, tout y est. Même la petite brise, même le vert qui inonde le paysage hors cadre. Il suffit de fermer les yeux, parfois. Merci pour ce texte délicat.
Merci Jean-Luc pour ce commentaire sensible
Conserver une trace avant le départ, tout est là qui résonne, merci Xavier
Bonjour Caroline, merci pour ce gentil message. Étonnamment, j’étais en train de parcourir « les derniers jours d’été » sur votre blog et je méditais sur la question des traces justement en lisant cette phrase « Le journal s’écrit à grands traits, j’essaie de visualiser la semaine, j’ai des absences, je n’ai quasiment pas fait de photographies, elles m’aident habituellement à resituer les petits événements, combler les vides. »
Exactement, ça combler les vides, au moins partiellement, suppléer à la mémoire défaillante. La trace est une trace vivante.
Joli texte.