Ça commence à sentir bon. Une bonne idée les petites herbes sur les pizzas, tu es content de ton mélange. C’est le moment que tu préfères dans la fête des voisins. Ils sont tous assis autour des premières pizzas. Alors pour les suivantes, tu es tranquille, plus personne pour t’expliquer comment tu devrais faire. Tranquille. Tu prends la pelle pour tourner un peu les prochaines. Le manche est lisse, poli par les mains de ceux d’avant, surtout celles de ta grand-mère. Elle qui a si longtemps fait le pain pour toute la famille. Ça commençait le jour d’avant avec les manches remontées bien haut, le levain qui sentait bon le vinaigre, la farine pas toujours blanche, et l’eau de la source. La pâte levait, pas loin de la cheminée dans le pétrin sous les planches de la table de la cuisine, là où tu te cognes toujours les genoux. Ensuite, elle faisait son feu dans le four à côté du potager. Elle cuisait ses pains et les laissait refroidir, bien alignés. Elle restait là un moment pour profiter des odeurs, de la douce chaleur, des petits craquements secs de la croute. Elle te racontait ça assise sur le banc devant la porte, en passant la main sur la surface dorée, brune et farinée qu’elle avait dans la tête, elle avait des gestes qui te mettaient l’eau à la bouche. Elle qui disait toujours « t’inquiète pas mon gros bêta, les petites bêtes, ça mange pas les grosses », ça fait bientôt deux ans que les microbes ont eu raison d’elle. Mais pas de tes souvenirs. Quand tu rentres dans le mazot, juste à gauche de la porte, deux longs bouts de bois avec les trente arceaux en noisetier. Avant, c’était pas comme maintenant, on descendait en ville qu’une fois ou deux dans l’année. Alors le pain, on l’achetait pas on le faisait. Une fois par mois. Un par jour. À la fin on le coupait plus, on le cassait pour le faire tremper dans la soupe. Quand il avait beaucoup plu, il fallait frotter le moisi. Mais la première semaine, si tu savais comme il était bon, mon pain
ARN mots clés : 2021 – Hiver – Neige – Petit patrimoine – 4-18/02/21 – Schiste – Tôle – Beaufortain
étonnant. Le « tu » rarement lu, bon je lis rarement.
Étonnant, mais … en bien j’espère ? J’ai l’impression que ça donne une distance au monologue, alors pour l’instant, je l’explore, ce « tu »-là me semble rempli de trésors cachés et en effet, pas souvent utilisé
beaucoup aimé cette évocation de l’aïeule à travers ce four à pain dans le pré enneigé
on y est complètement et on peut sentir l’odeur de la farine et du bon pain en train de cuire
merci Juliette pour ce beau moment (qui tombe à point en ces époques de gaspillage avec bien des pays pourtant en voie de manquer de nourriture)
J’avoue avoir eu un peu d’aide extérieure : les genoux dans la table et le mazot avec les arceaux, c’est chez la voisine, et le four à pain, j’en ai un devant la fenêtre, alors c’était facile 😉
Me manque juste ma grand-mère qui n’est jamais venue à la montagne et ne faisais pas de pain, mais, … Toussaint
Le mazot en est tout réchauffé,
Ah ben non, le four était toujours très loin, justement, pour ne réchauffer personne en cas d’incendie. Par exemple celui que je vois par la fenêtre (;-)) là devant, il est même construit à côté du bachal. Quand on fait tout en bois, le feu c’est la grande peur
Merci pour ton beau texte, Juliette ! J’y retrouve mes propres souvenirs.
Merci Helena, bien contente de t’avoir emmenée chez toi
Elle est bien jolie cette langue que l’on sent, que l’on respire.
Le mazot ressemble de loin au mazet provençal. Le reste c’est aussi des souvenirs de famille (pas les miens mais je les ai telelment entendus que je me les suis approprié)