#photofictions #07 | en actes

cette espèce de chance qui peut se nommer le hasard ce serait d’entendre pour bande son Laurie Anderson qui coule en boucle son O superman (on peut l’entendre ici) – j’ai toujours cru qu’ils étaient sur la véranda, eux deux et elles, leurs deux jumelles, assises sur la balustrade qui marque l’entrée de la maison mais non – je suis allé chercher la chemise de carton bleu dont les élastiques (noirs) sont détendus, accotée à l’arrière du bureau, sur la gauche, il y a là quelques photocopies de ces images – évidemment toutes les autres, celles de l’âge adulte disons ont disparu dans la maison brûlée – mais il n’y en avait pas tant non plus – d’autres oui, celle-là est sans doute prise au 24 – c’est ce qu’indique en tout cas la légende au bic bleu, le 24 de la rue (le robot n’y va pas, mais sur l’image d’entrée, c’est la première à gauche là – elle doit avoir changé de nom comme elles en ont toutes plus ou moins changé, ils sont là tous les quatre); le photographe est un professionnel (début cinquante et un, il fait chaud, ils sont en bras de chemise, elle le regarde en souriant, il sourit lui aussi) mais « bordel de merde tenez-les vos deux tétards elles vont se casser la gueule sinon » – professionnel sans doute, grossier certainement – il aimait à dire des « gros mots » comme on disait mais je ne me souviens plus de son prénom, je sais que sa femme était une grande amie, mais je ne me souviens plus, elle portait le même prénom qu’elle et qu’une autre de ses amies – je ne me souviens plus – il cadre, sa femme aussi est pĥotographe, ils tiennent la même officine, dans le quartier, elle est peut-être là avec son rire, adorable – une année on avait été la voir à Nice, cette autre amie-là et on avait mangé des pans bagnat, quelque chose qui devait ressembler ou faisait semblant de ressembler à ceux qu’on mangeait là-bas (j’aime « là-bas ») mais qui n’étaient pas réussis – pas du tout – une spécialité du coin où elle s’était installée, cette amie (vient presque immédiatement dans cette ville la H.A d’ici, ainsi que la jeunesse et l’enfance de Gary qui a pris ce pseudonyme à cause de l’acteur Cooper (ou alors j’invente), mais qui se nommait Roman Kacew) : elles étaient donc trois à porter le même prénom – trois amies qu’on voit, sur une de ces images encore de lui, certainement, ce professionnel, elles marchent sur la jetée de la Marsa – ou quelque chose d’approchant quelque part au bord de la mer – juste après guerre elles n’ont pas vingt ans (« putain ces gonzesses, des vraies bombes !« ) – les images collectées, posées sur la vitre de la photocopieuse, puis ensuite annotées – le tout est mis dans une enveloppe un jour donnée au gardien de l’immeuble afin qu’il me la remette – quelque chose torture à l’intérieur, dans la première sûrement, mais il sourit, elle le regarde sourire et sourit elle aussi, le photographe intime de sourire, le pays du sourire du jasmin du bleu du blanc enfin tout ça – non, on ne voit rien d’autre que ces sourires, il n’y a rien de ce qui se passait il n’y a que quelques années de cela, sur l’autre continent sans doute pour le plus odieux (mais y a-t-il des grades dans l’odieux ?) , il n’y a rien de ce qui se passera dans moins de dix ans ici ou dans le pays voisin, on pourrait chercher la marque de l’appareil d’alors, celle des films qu’il utilise, les pellicules dans le bac à légumes du frigo (il y avait déjà des frigos ? qui peut savoir ?), et puis le développement à la lampe rouge, le rangement, les bords dentelés, les boites dans lesquelles elles sont parvenues de ces jours-là à ces jours-ci, et ces personnes-là, les mêmes que celles qui sont sur l’image, le placement sur la vitre du scanner ou de la photocopieuse – et ailleurs d’autres, celle sur la chaise haute, sans doute est-ce lui qui la prît, ou elle ou quelqu’un d’autre qui peut savoir, c’est rue du Mexique ou de Mexico, ça a changé, tout a changé parce que tout est resté semblable, ça s’appelait Kellerman et il y fait beau, c’est cinq heures du soir, les filles courent dans la rue, septembre cinquante-trois, la maison de ses parents à elle, sur la gauche l’entrée par le jardin, la petite fontaine et la tête de lion qui ne crache pas son petit filet d’eau – une voiture stationne là et l’une des filles veut l’escalader – elle crie « arrête !! et descends de là ! » est-ce elle, on ne sait jamais – il y en a comme ça une cinquantaine, une quinzaine de pages, des photocopies, elles servaient à mettre en perspective quelque chose comme cette enfance-là, avec cette famille et ce grand-oncle, il est au Maitron comme l’un de ses frères à elle se payait une fausse notice au Who’s who, ça se fera peut-être un jour, un travail quelconque qui prendra place dans l’ensemble des autres plus divers et éloignés

il y a trois clichés que je n'ai pas recherchés avant d'écrire (ensuite, oui, mais sans les retrouver les trois) : d'abord eux deux avec leurs deux filles (deux nourrissons qui n'a pas de féminin tu remarqueras - sans doute parce que ce n'est pas encore fini, comme on croit : c'est vrai mais c'est surtout vraiment faux comme on sait) - la deuxième ce sont trois filles brunes en jupes robes jambes cheveux magnifiques qui marchent et sourient heureuses et sûres de leurs charmes (pour tout bagage, on a vingt ans et que ceux (et celles) qui pensent que ce n'est pas le plus bel âge de la vie descendent du manège) - la troisième celle du rédacteur sur sa (ou une) chaise-haute souriant sans doute (peut-être ai-je quelques mois, six ou huit - "tu vas sourire, ptit con oui ou merde ?") - des images qui ont été exhumées d'un dossier que je sais être là, ça a quelques années, quatre ou cinq, du temps de la recherche d'une résidence (à la Marsa) - mais j'ai vaguement le sentiment qu'il n'y a guère de fiction là-dedans (on s'en fout, je sais bien) - elle viendrait certainement de ce couple de photographes, ce sont des personnes qui ont  existé, réellement (si ça veut dire quelque chose ?) - c'est un dossier qui date de dix-sept, non dix-huit, au temps où j'avais entrepris l'écriture - la ré-écriture - d'un texte titré inachevé repris titré à nouveau - il y a deux versions dont l'une réécrite - j'ai cherché, retrouvé le texte "Hybride métisse composite" proposé à je ne sais quel jury à la sagacité proverbiale mais défaillante - ils ne nous méritent pas disait en riant une amie - c'est grâce donc à l'atelier que revient ce texte et ce dossier dans lequel je découvre : 
- un curriculum vitae signé de sa main (où on apprend qu'il était gérant de 3 (ou 4) sociétés à rL (responsabilité limitée) écrit-il sociétés dissoutes en avril 59, lesquelles mettaient à la disposition des colons français ce dont ils avaient besoin que lesdistes sociétés importaient ces divers objets des zu-esse en provenance notamment des usines de la general motors corporation (je me souviens qu'il me racontait que pendant la guerre il conduisait des GMC et que je n'y comprenais pas l'acronyme - non plus que celui de la moto qu'il conduisait aussi BSA - qui se traduit par British Smalll Armory : c'est sur un monocylindre de 350 centimètres-cubes de cette marque (démarrant au kick) que j'appris à me servir de ce type d'engin) 
- les photocopies de son livret militaire qui indiquent les diverses étapes de son parcours guerrier (s'engage en avril quarante trois et se dégage le 6 juin 45), un peu plus de deux ans sous ce drapeau (lesquels se retrouvent  dans l'examen de son cahier)
J'avance 

A propos de Piero Cohen-Hadria

(c'est plus facile avec les liens) la bio ça peut-être là : https://www.tierslivre.net/revue/spip.php?article625#nb10 et le site plutôt là : https://www.pendantleweekend.net/ les (*) réfèrent à des entrées (ou étiquettes) du blog pendant le week-end

16 commentaires à propos de “#photofictions #07 | en actes”

  1. J’aime ces arborescences, le vrai /faux, juste l’indécidable. Ces images revenues en mémoire retrouvées ou non et pourtant pas perdues. Elles eux lui et les nourrisson(es) . On ne sait pas toujours dans quelles rues on se trouve, ni vers quel ciel on regarde ce doit être là-bas où les Pan bagnat, sont si bons … En acte comme à l’intérieur d’une tête qui regarde des images pas tout à fait perdues

    • merci à toi (j’ai quand travaillé le flow) (je lis aussi ton café Europa (merci de la citation) et il m’arrive de subir les mêmes assauts que toi :où écrire ? pour qui ? avec quels desseins ? et comme toi je me dis : une seule adresse suffit) merci à toi Emmanuelle

  2. Nathalie et Emmanuelle ont traduit ce que je sentais sans parvenir à le formuler. Merci, Piero. Il faut accepter de se laisser mener, blacbouler parfois, un peu comme en danse et alors c’est vraiment magique te lire, et rester sur sa faim au dernier de tes points.

  3. mais si la remise en ordre. de la mémoire perdue, la recherche pour recréer un monde (oh la fontaine), les phrases, le parler, etc… c’est le réel que nous cherchons mais c’est aussi une fiction (pleine de vie, de sentiments et de tout ce qui ne photographie pas)

  4. je pars en live dans ton chambardement, dans ton flux nécessaire, et ça déménage, on ne regrette pas !
    toujours cette fouille chez toi
    et toujours ce « quelque chose torture à l’intérieur », tout aussi nécessaire…
    salut piero

  5. Bonjour Piero, une belle écriture présente au monde! et très cinématographique…j’ai pensé aux films de Jacques Rozier…dans ce meme élan mouvement de filmer/dire les sourires les corps la nourriture la musique caméra à l’épaule (enfin vous c’est stylo en main!)… J’aime beaucoup

  6. toujours dans un foisonnement labyrinthique, et j’aime m’y promener, m’y laisser aller, écouter, voir, ressentir, la vie avec tous son feuilletage, merci Piero pour ce voyage