Quatre dix quinze (passage de la nuit blanche)
Promenade de nuit dans l’est parisien (fumeuses propositions, mais on s’en fout vu qu’on marche)
cette année encore sous le pont du chemin de fer en sortant du tunnel qui n'existe plus que dans la réalité mais pas dans les parcours ferroviaires il y avait des tipis éclairés de l'intérieur, des jeunes gens jouaient quelques airs connus d'eux, d'autres dansaient ou s'exprimaient physiquement, c'était à la nuit, noire, quelque chose dans le vingt - on sortait pour voir, l'amie qui recevait avait décliné l'invitation - je me suis souvenu de la première édition où j'avais agi comme d'habitude pour les enquêtes : laissé courir quelques heures (en profiter pour dormir) et revenir sur le terrain (comme on dit) en auto pour aller au muséum d'histoire naturelle à la dernière présentation qui commençait à six
on prend le « pont bleu » (au fond, à gauche, les lumières : c’est lui)
il avait été repeint, on avait mis un jardin sur son côté, sur l'autre face de l'emprise, jouxtant la rue, on avait nettoyé tout ça - c'était un peu comme dans le quadrilatère à côté de la gare de Lyon intitulé "îlot Châlons" où on vendait des stupéfiants et où crevaient la gueule ouverte les damnés de la terre - comme on en vendait aussi ici et qu'ils et elles crevaient tout autant aussi bien aussi sûrement - cette ville a changé regarde le square qu'il y avait à la place de la pyramide, la terrasse où se pavanait crâne d'œuf au moment de son élection, il y avait là Raymond Depardon avec sa camera (il y a quelque part une image de lui qui suit son éminence descendant, cheveu au vent, d'un hélicoptère), maintenant c'est ici que s'étend cette gale mercantile et comment se nomment ces gens qui s'emparent des lieux pour en faire des immeubles neufs d'habitation ? promoteurs, oui, voilà (le mètre carré se négocie dix fois plus cher, c'est vrai, les choses sont comme elles sont dit la chanson, de temps en temps la terre tremble) - les choses et les humains changent et bougent, il y avait cette incise qu'on ne peut ici reproduire, de Jane Sautière qui décrivait la porte de la Villette, la misère reste -
cependant malgré tout il fait encore beau sur Paris ce 6 octobre – (ça prend la forme d'un journal) la veille il restait (selon radio paris) encore huit cents fonctionnaires de police sur place pour que le lieu redevienne fonctionnel (comme dit la vulgate obscène) – on en était là tandis que mourraient de faim ailleurs, noyés dans les eaux de la mer Égée, de guerres encore ailleurs, de désespoir une part de cette humanité – on visite, on discute, on se nourrit… (Les gens absents (Cabrel) suivie de Invitation to the blues (Tom Waits))
(on se souvient que les motrices diesel chauffaient de 4 à 7 dans le hangar Pajol désormais transformé en auberge de jeunesse), on a pris la rue du faubourg où un type nous a abordés dans un état d’ébriété assez avancée (lui, pas nous hey)
d'abord Marx Dormoy puis croisement Chapelle et Saint-Denis, ce faubourg - j'essaye de reconstituer ce chemin - en son haut qui va à la Chapelle, gardé par le Sri-Lanka et ses ouailles, ses restaurants magnifiques (attention au point rouge sur les petits pavés qu'ils soient à la viande ou aux légumes qui indique le degré de puissance du piquant qui se trouve y avoir été mélangé), lequel faubourg continue à l'oblique oui, cette rue d'Aubervilliers et ce jardin estampillé d'Éole (sans doute y souffle-t-il quelque brise) dans lequel (lorsque son altesse municipale y consent, certes) des gens honnêtes distribuent des petits déjeuners aux malheureux et malheureuses en quête de paix -
on a marché et continué cette série « alimentation générale » qui est opérante en hiver plutôt (je compte très mal, ces séries, mais ce doit être la dix huitième – parce que la nuit vient plus vite et les lumières aussi, on a continué à marcher (en vrai c’était dans l’autre sens mais on en a quelque chose à taper, sans rire, du sens dans lequel on a parcouru le nord est parisien qui commence à devenir une marque de fabrique en voie de gentrification pour cette municipalité – je me souvenais du coup de surin frappant à l’aine l’édile précédent – hein, franchement ? naaan : on est passé devant la gare du nord où cette notion frénétiquement actuelle intitulée « participative » a conduit à édifier une sculpture écœurante de vulgarité), sur le pont de la rue de l’Aqueduc, une sculpture d’eau jolie (je me suis dit pourquoi ne pas faire jaillir ici des marques, « ça c’est Paris » ou « pendant le week-end » ce serait du plus bel hommage à ce monde idyllique)
(il y avait trop de monde, on n’est pas restés : à l’entrée de la caserne désaffectée « Défense d’Eléphant » il y avait aussi la queue mais il était dix heures peut-être) on a fait d’une certaine manière comme un peu tout le monde (enfin, celles et ceux qui allaient là ou ici), on a croisé des gens, des enfants en trottinette et des vieux avec des cannes, des connards à barbe de trois jours au cordeau comme on fait maintenant, avec aux pieds des chaussures comme on fait maintenant, des gonzesses peut-être trop fardées (mais comme c’est la nuit, on a beaucoup à se faire pardonner) qui rient vraiment parce que « c’est tellement drôle, tellement tu comprends », et tout ça a été furieusement contemporain
j'ai repris le cours des choses parce que c'était écrit hier - aujourd'hui comme toujours quant on ne tient pas spécialement à quelque chose (on n'a pas de commande ou quelque chose à assouvir) il me semble que c'est inutile et inique - je le laisse par principe sûrement - c'est con, les principes mais il faut s'y tenir tout en sachant qu'on s'y tient comme une bête - par instinct sans doute. S'il s'était agi de continuer - par hasard c'est tombé sur ces jours-là - il y a sept ans ces trois jours-là se trouvaient à la veille de la disparition de Chantal Akerman (c'est ce 5 octobre-là qu'elle s'est ôté la vie - à Paris 20 dit la chronique) et ce fut un choc. On (je) ne savait(s) pas pourtant qu'il s'agissait d'une série de terribles tremblements - quelque chose certainement qui guide le hasard vers ces moments-là (il y et une image d'Édith Piaf ce jour-là, au journal) puis ensuite, ensuite... Je laisse, ce n'est rien, ça tombera dans l'oubli.
et comme disent les Poèmes Express
quelle balade ! sensation agréable d’avoir flâné à tes côtés, gratitude de pas avoir contourné, esquivé l’horreur de certains de nos coins. Endroits où je ne m’aventure pas seule, gens que j’ai du mal à regarder, situations que je n’arrive pas à penser (chère Chantal Akerman). Entre tes mots je m’en suis sentie un peu capable. Merci pour « ce soir de demi brume » à Paris. Ah finir par un caviardage de Lucien Suel m’a réjouie. Merci Piero
merci à toi Cécile
Disons à la lecture : vénéneux mais joli en automne. Merci
ou empoisonnant ? tu crois ? amer plutôt (méchant ?) (ironique et blessé, oui) (merci à toi)
oui je me disais une forme de mélancolie douce amère en effet
Les mots de Marion, vénéneux mais joli en automne. Les photos et caviardage top comme l’ensemble. Merci, Piero.
(Lucien assure) merci à toi Anne
Ecriture à fréquenter régulièrement pour l’apprivoiser.
Sensible à toutes les strates qui surgissent : les balades dans la ville qu’on pourrait suivre sur un plan, les traces du temps qui passe, les prédateurs en tous genres fustigés, les références littéraires,historiques, les chansons, l’ironie.
Un foisonnement qui donne le tournis , dont on devient accro.
une écriture fractale si j’ose le mot.
merci Piero.
Merci à toi Huguette (fractale hum…merci encore)
il n’y a pas que la vulgate qui est obscène, il y a bien sûr tout, tout ce monde actuel (peut-être pas mal aussi celui d’avant) surtout quand se pare d’éthique et parfois quand se veut « artistique » -nous reste à marcher et sourire aux gens quelquefois
(oui oh cette façon de faire n’est pas nouvelle, non) marchons, alors, et sourions parfois – merci à vous Brigitte