On court faire un saut au fleuriste en face. On revient de la voiture avec les chaussures neuves et noires exprès et pas les baskets de tous les jours. On hésite à prendre le chien, et on le ramène dans la voiture, c’est quand même pas un parc. On se salue, de tombe à tombe, comme de fenêtre à fenêtre. On garde pour la prochaine rencontre la remarque sur la coupe, ça te va bien, cette petite coupe courte, dis-moi tu as maigri, si, des bras, des bras regarde bien je te jure c’est flagrant, tu as maigri.On laisse entre deux tombes la poussette, avec pas le risque ici que ce soit pris. Et on serre contre les poitrines les bébés neufs. Y’a du monde comme rarement. C’est grand jour au petit cimetière. On voit mieux, alors, soudain, que y’a foule aussi sous-terre, petite foule de morts. Les enfants comptent les âges. Ils disent les noms sous les photos, ils trouvent une du nom pareil que leur institutrice et on dirait que leur institutrice est morte. C’est sans doute sa mère, leur dit leur mère. Et ils imaginent leur maman morte. Les enfants se couchent entre les tombes. Ils sont plus petits que la mort. Il faudrait pas mourir maintenant, ils se noieraient, dans le cercueil, comme quand la grande tante leur a acheté un pantalon beaucoup trop grand, et que la mère avait rien dit devant, pour pas la peine, mais ensuite la mère s’était moquée et les enfants l’avaient soudain haïe, la tante, d’avoir dévoilé cette part-là de leur mère, de méchante comme les méchantes de l’école, qui disent pas tout droit, qui parlent dans le dos. Et puis c’est on repart, on laisse les morts, comme quand, le matin, on repart avec maman à l’école en laissant le petit frère à la crèche, avec le privilège des dix minutes encore d’avec maman, seul dans sa main.
Un petit côté cruel et décalé qui me plaît bien dans cette foule …