Petit objet d’environ trois-quatre centimètres de hauteur. Une statuette toute en rondeurs, dure, froide, solide. Les yeux clos, le visage imberbe, un trait sombre pour la bouche, un nez pointu, un menton rond, quelques plis au niveau du cou, les mains jointes, entremêlées, posées au niveau des genoux. On devine aux reliefs foncés les plis du vêtement ouvert sur un torse nu, robuste et glabre. Cette sorte de toge se nomme kesa, kasaya en sanskrit, ce qui signifie couleur ocre. Le kesa est composé de bandes de tissu rectangulaire assemblées, évoquant les champs de riz. Il doit être de couleur sombre, proche de la couleur de la terre. Sur la tête de ce bouddha, on trouve une sorte de coiffe à picot. Ces pics représenteraient des coquilles d’escargot en référence à une légende qui raconte que des escargots, ayant senti la sagesse qui s’en dégageait, se seraient installés sur la tête du bonhomme afin de le protéger du soleil un jour où il se reposait contre un arbre. Le personnage est assis en tailleur, le dos légèrement incurvé, immobile, la tête sobrement penchée en avant, comme rentré en lui-même.
Une fois bien décrit l’objet, on a envie de s’en approcher, de le toucher, d’en détailler les contours. On laisse alors son index tâter les coquilles d’escargot au niveau du crâne et l’on descend doucement le long des épaules selon une courbe qui rejoint les mains au centre de la statuette. On observe la parfaite symétrie du devant de la figurine puis l’on imagine une coupe sagittale partant du sommet de la tête jusqu’entre les jambes. Mais l’objet est de matière métallique, incassable, alors pas question de le couper en deux ! On le soulève par le crâne entre le pouce et l’index afin de prendre conscience de son poids, son épaisseur. Sentir le contact froid sous la pulpe des doigts. On le retourne et l’on découvre non sans quelque déception – on croyait l’objet plein — deux trous sur le dessous, trop étroits pour y glisser l’auriculaire. On scrute alors les anfractuosités intimes de l’objet au travers des deux trous inutiles. Pour finir par la contemplation interrogative d’une inscription en japonais située à peu près entre les deux orifices. On secoue légèrement, rien ne se passe, vide intérieur, inertie de la matière. Immobile personnage aux yeux indéfiniment clos. Tenir enfin bouddha dans le creux de la main avant de rechercher une surface plane pour le reposer. Observer les reflets clairs sur le gris anthracite brillant, sombre et lumineux à la fois. S’en détacher.
Petit bouddha à la posture paisible et pacifiste dont on sait si peu de choses. Il s’agit bien d’un homme au vu du torse dénudé et des sillons finement tracés des pectoraux. Existe-t-il seulement des représentations féminines de bouddha ? J’en doute fort. On ne saura jamais la couleur de ses yeux. On imagine un bonhomme d’âge moyen. Celui-ci, contrairement à d’autres, ne présente pas d’embonpoint. Il est de taille et de corpulence moyennes. Un point, que je n’avais pas aperçu la première fois, brille au milieu de son front entre les deux sourcils. Appelé « œil intérieur » ou « œil de l’âme », il désigne métaphoriquement le troisième regard, celui de la connaissance de soi. BOUDDHA est un terme sanskrit qui signifie éveillé, participe passé passif de la racine verbale budh-, « s’éveiller ». Le mien semble pourtant promu à un sommeil éternel…
J’ai cherché un objet de petite taille plutôt insolite et familier dans mon environnement quotidien et c’est sur lui que je suis tombée. Il est si petit qu’il passe presque inaperçu (sans doute l’est-il pour d’autres) déposé discrètement, délicatement, sur le rebord de l’immense baignoire de la salle de bains. Parfois il change de coin. On l’oublie. Stable, solide et pourtant si lointain, étranger, voyageur venu de l’autre bout du monde. La tête tournée vers l’intérieur de la baignoire toujours, gardien d’intimité, garant indulgent de ce si fragile temps pour soi. Malgré ses yeux fermés, il veille, ouvert sur le monde du dedans. Loin de moi toute velléité méditative, juste le savoir là et attendre qu’il me transmette peut-être un peu de sa sagesse, de sa sérénité, de sa plénitude qui me font tant défaut. Sorte de point d’ancrage, d’arrimage, sur lequel s’appuyer, repère sécurisant, résistant et durable quand autour tout vacille.
Petit bouddha de salle de bains, statuette grise, métallique, incongrue au milieu des shampoings, gels douche et bains moussants. Inclassable, incassable, immuable, ignorant du temps qui passe. Il ne porte pas une rayure, pas un accroc, pas une poussière. L’eau, les années, le savon, tout coule sur lui, jamais il ne trébuche. Renversé, retourné, toujours il se relève, reprend sa place à quelque exception près. Babiole achetée pour quelques yens il y a près de onze ans lors d’un voyage de noces au Japon. Petit bouddha aux reflets sombres argentés et brillants, discret et solide à la fois, la tête inclinée vers l’avant dans un mouvement réflexif de repli sur soi. Son visage paisible et impassible demeure énigmatique, sa tenue inébranlable. Représentant d’un lointain tout proche, de souvenirs qu’on ne souhaiterait jamais révolus. Figé pour l’éternité, statuette de silence bienveillant, d’ailleurs, d’exotisme. Repère stable dans une existence qui défile à toute vitesse sans pause ni répit. Point d’appui, d’équilibre permanent et fidèle dans un quotidien qui ne l’est pas toujours. Invariant invulnérable.
que penser de mieux à propos d’un petit Bouddha que « repère stable » (que l’on soit bouddhiste ou non)