La périphérie pour les vendeurs forains, leurs camionnettes avec ces immatriculations de loin. Les mêmes depuis longtemps. Celui dont on voit blanchir la moustache, vous vend de ces ceinturons de cuir pour rien, à côté sa femme et des tas de sous-vêtements. Plus loin, une fille, un neveu, un fils, un bric-à-brac de pacotilles et de joujoux plastiques sur leurs étals. Un quincaillier a déballé outils, raccords, joints, ustensiles de cuisine. Des marchands de vêtements rustiques, pratiques, professionnels ou de surplus militaire pour le travail sur les exploitations, au jardin et la chasse sur le plateau. Des chausseurs aussi. Depuis dix ou quinze ans, ces vendeurs amérindiens qui proposent bonnets et lourds ponchos de laine aux couleurs vives et chaudes pendant qu’un petit groupe joue de la musique des Andes avec, à la vente au pied de la sono, leur CD.
La place centrale pour l’alimentaire. Avec les années, de plus en plus de petits producteurs locaux et bio, avec leurs mains toutes caleuses de rouler la terre. Ils empiètent sur les primeurs grandes gueules montés depuis toujours avec les pêches, les abricots, les melons et les tomates de la vallée du Rhône ou de plus au sud de l’Europe. Un ou deux apiculteurs avec leur hydromel à touriste, autant de fromagers avec de ces petits blocs grouillants à effrayer les gosses et les urbains, boulangers, charcutiers et même un vendeur de vin qui débite ses cubis aux habitués. Toujours ce doute du rouge aux visages des hommes d’ici : alcool ou vent du plateau ? Aussi, le petit camion du pizzaïolo et celui blanc avec fin liseré rouge du couple qui cuisine et vend à emporter asiatique. Ont ajouté une remorque avec poulets rôtis.
À l’autre bout de la place, le coin de ceux du plateau qui vous vendent les animaux de toute la basse-cour, même un professionnel des poules venu de plus loin avec son semi à remorque aménagée avec étagères de cages empilées. Et cet effarement renouvelé, de voir qu’avec les économies de ta tirelire utilisées pour un Tintin, tu aurais pu acheter une poule – Castafiore – ou un lapin – Haddock – comme celui, énorme, gris moucheté aux oreilles tombantes, apeuré au fond de son carton où écrit tremblé « Géant des Flandres ».
Un peu à l’écart, la halle municipale pareil à un hangar industriel. Lieu central des lundis du plateau, vide et ouvert aux vents les autres jours. Les touristes restent en retrait, les appareils se font discrets. Comme une mer hostile, le marché aux bestiaux. C’est du sérieux, ça parle fort, entre hommes, des phrases houleuses de patois et lourdes de francs puis d’euros. Parfois aussi un bêlement ou un meuglement déchire le flot des autres. L’odeur des eaux de Cologne et l’urine des bêtes. Elles parquées serrées, tâtées, pincées, piquées, jaugées, chahutées par les bouchers en blouses noires. À côté, le bloc des éleveurs, goguenards ou sérieux, ils attendent les offres au kilo. Parfois, le ton monte, c’est folklore. Le ticket donné avec le prix inscrit à la hâte, la poignée de main pour conclure, les coups de ciseaux pour marquer la bestiole, parfois le rendez-vous donné au café pour après. Au début de matinée, d’abord les moutons puis, la spécialité d’ici, les veaux. Après la pesée et les chèques, les animaux sortent par l’arrière pour être embarqués dans les camions, certains partent pour l’Italie, tous vers l’abattoir. Sur l’avant, le parking par où ils ont débarqué des bétaillères. Souvent blancs les véhicules des paysans. Toujours un peu de paille souillée qui dépasse. Autrefois, carrioles au cul des tracteurs, Tubes Citroën, Estafettes, puis 4L camionnettes, C15 ou Express, Berlingo, Kangoo jaunes ou bleus pâles réformés de la Poste et d’EDF. Maintenant aussi, de ces gros pick-up trucks à l’américaine.
Une fois l’an, le vieil arbre tordu par la foudre comme repère pour garer la voiture à la sortie du village. On déborde un peu, penser à rabattre le rétro. La petite route perpendiculaire file à travers les prés moissonnés, dans le vieil été du plateau, vers le monde.