Le portillon de fer gris. Des haies très denses, très sombres et taillées strict filent de chaque côté. Écrit sur un panneau « entrée réservée aux visiteurs ». Un petit chemin d’une cinquantaine de mètres, bétonné et encadré d’une pelouse martiale, descend doucement pour se terminer sur le parvis au pied de la porte vitrée de l’établissement. Pas de poignée de ce côté du portillon, juste le boîtier d’un interphone en haut à droite avec une plaquette « Sonnez pour entrer ». Je m’annonce, un grésillement pour réponse et le portillon se déverrouille. Le parvis débouche sur une sorte de très grande véranda, au fond, contre la façade en dur, sur une rangée de chaises sans doute sorties pour l’occasion, une rangée de pensionnaires vole un peu de cette chaleur fragile des premiers soleils du printemps. Certain.e.s installé.e.s dans des fauteuils à roulettes, toutes et tous bien emmitouflé.e.s, des plaids ont été distribués. Beaucoup semblent somnoler. La porte vitrée avec une double ligne blanche à hauteur du regard s’efface et je suis pour pénétrer dans le bâtiment.
Le seuil à peine passé, un petit vieil homme se plante devant moi. Sans doute un peu émoussé par mes deux heures de route, je ne l’ai pas vu arriver. Regard gris fixe, il porte un chandail bleu épais, ses cheveux sont coupés en une brosse courte qui ajoute à la détermination de sa silhouette trapue. Il me bouscule et détale vers la sortie. Un peu désemparé je cherche de l’aide mais personne ne réagit sous la véranda. Je reviens vers le portillon. Le vieil homme le tient fermement agrippé, je crains même qu’il ne veuille l’escalader. Tout en le saluant, je pose une main sur son épaule et lui demande s’il ne souhaite pas que je le raccompagne au chaud, à l’intérieur. Il tourne la tête, me répond en colère que c’est moi, moi qui devais venir le chercher, qu’il m’attendait depuis si longtemps et qu’il ne fallait pas traîner, qu’il voulait partir avant la nuit. De plus en plus mal à l’aise, je ne vois toujours rien venir du côté de la véranda. Je lui réponds que non, qu’il fait erreur, que moi je viens voir Monsieur Jean B., mon grand-père. Il me répète que c’est lui que je dois emmener, qu’il m’attendait. Ses mains serrent de plus en plus fort le portillon, son visage est blême. Il fixe l’horizon vif et bleu. J’insiste encore, en vain.
– Je veux rentrer. Je veux rentrer chez moi.
Je l’ai laissé là. J’ai franchi la véranda. Dans le hall, j’ai avisé la première blouse blanche croisée. La jeune femme m’a dit de ne pas m’inquiéter qu’il faisait tout le temps ça, qu’il ne risquait pas d’aller bien loin et qu’on aurait même pas besoin de le rentrer parce que la nuit tombait encore tôt à cette époque. Moins d’une petite heure plus tard, la véranda était vide, il n’était plus là, je ne devais plus le revoir, mon grand-père non plus.