Plus de vingt ans1. De son petit pas, il trottait, arqué sur sa canne2, tout autour de l’immeuble3. Sa promenade quotidienne aux beaux jours, toujours dans le même sens. Très vieux, très voûté, si petit4. Parfois, un pain sous le bras5. Au plus chaud, son grand chapeau de paille, un simple débardeur de coton blanc, un pantalon de toile beige clair6 et des espadrilles éclatantes7. En fin d’après-midi, « à la fraîche », il sortait une chaise8 de son deux pièces en rez-de-chaussée et s’asseyait sur le côté, près de l’entrée9. Au plus froid10, on ne le voyait plus. Attendre le printemps suivant11. Les dimanches matin souvent, il attendait à l’entrée du parking12, bientôt une voiture des siens – fille, petit-fils – venait l’embarquer13, pour le reste de la journée, jusqu’à la nuit14. Quand on le croisait, d’abord son sourire derrière ses grandes lunettes15. On lui adressait le « bonjour-bonsoir ». Il était très sourd16. Ses mots articulés fort en espagnol17. Alors, juste un petit sourire timide pour notre vieux petit voisin18.
1. Soi, jeune père toujours très affairé mais qui jetait quelques coups d’œil par la fenêtre.
2. En bois, souple, comme celle de Charlot ?
3. Notre immeuble et le sien formaient comme un L. À la base de ce L, entre les deux bâtiments, un petit passage permettait de rejoindre le parking.
4. Quel métier avait pu le casser ainsi ? Les abattoirs ? Les chantiers ? Les usines textiles d’ici – dévidage, ourdissage, tissage …- ? Tout disait la retraite de l’ouvrier.
5. Le mercredi, jour du marché, sur la place à 300 mètres, on l’a vu parfois revenir avec un filet à provision garni de quelques fruits et légumes.
6. Ainsi vêtu, il semblait capter le moindre souffle d’air et ne jamais souffrir de la cuisante chaleur estivale.
7. Surpris de le voir ainsi chaussé.
8. Très simple, en bois, comme on peut en voir dans un bistrot ou un petit restaurant de campagne.
9. Nos immeubles HLM se ressemblaient. Je le voyais mal descendre les trois étages sans ascenseur avec sa chaise et encore moins les remonter. De toute façon, par la nounou des enfants qui habitait là, je savais qu’il occupait un des appartements du rez-de-chaussée.
10. En hiver, le sol était souvent verglacé.
11. Quand on s’impatientait de le voir, on demandait des nouvelles à la nounou. Une fois, c’est elle qui a pris les devants en nous apprenant qu’il avait fait une mauvaise chute. Sa convalescence a duré un peu, puis il est revenu, un reste d’hématome au visage.
12. Souvent en costume, mais on se souvient surtout de sa casquette à carreaux dans les teintes marrons. À écrire ça, c’est le vieil Homer des « Ailes du Désir » qui remonte : https://tinyurl.com/yckzgq4x
13. Berline diesel un peu poussive, sombre – vieille R21 ou Safrane ?- pour la première ; Ford Fiesta agressive blanche avec liseré rouge, becquet sport, jantes larges en alu pour le second.
14. Sans doute un repas dominical et familial qu’il aimait peut-être voir s’éterniser où tout s’agite autour de lui. Le reste de la semaine, il cuisinait ? En tout cas, jamais croisé la camionnette du CCAS qui livrait les repas.
15. Monture métal doré.
16. Jamais pu avoir vraie conversation avec lui.
17. Alors toi d’embrayer ; un réfugié espagnol ? Lui avec les Weil, Duruti, Paz ? Peut-être parmi les photos de ce petit livre qui t’ont tant marquées https://tinyurl.com/yawkdrz8
18. Jamais su, ni voulu chercher à savoir, ni son nom, ni son prénom; ici on l’appelait « le Papy ».