Celle qui a crié « Vive la République » avant d’être jetée du pont où passait l’Empereur. Celle qui au retour de l’école s’arrêtait très souvent dans la nuit du petit chemin pour frapper très fort entre eux ses sabots. Celle qui s’occupait des vieilles à l’hospice. Celle qui me regarde depuis le fond du XXe siècle avec ses cheveux coupés très courts comme un garçon. Celle qui en rentrant au pays avec les enfants a peut-être croisé Cendrars sur un quai de gare. Celle qui volait des cartes d’identités vierges. Celle qui, cachée dans les blés, a vu les Allemands foncer et mitrailler depuis la petite route. Celle qui a refusé de tuer la dernière poule même au plus froid de la faim. Celle qui sourit sur le chemin de sa mort. Celle qui a chaque menace stockait au grenier sucre, sel, café, huile, nouilles. Celle qui a vu ses deux prétendants profiter de la guerre pour se départager. Celle qui est partie avec son homme en abandonnant sa fille. Celle qui disait en boucle « c’est misère quand les enfants doivent partir avant les parents ». Celle qui a lu les Faulkner dés leur parution en français. Celle qui chassait les orphelins à coup de pierre. Celle qui allait à la messe tous les dimanches. Celle qui vivait chaque au revoir comme un adieu. Celle qui a été grignotée par deux crabes. Celle qui l’été distribuait et rangeait, en échange d’un petit bracelet numéroté, les paniers de plastique rouge à la consigne de la piscine municipale. Celle qui achetait dans les musées d’Europe des reproductions au format carte postale et notait au dos son admiration. Celle qui piochait avec hargne, fauchait avec rage et écorchait avec haine. Celle qui a voulu fermer ses volets le matin du départ pour la maison de retraite. Celles qui sont remontées au souvenir, écrire la fiction de leurs rêves ?
Oh, celle des volets à la fin, ça fauche. Oui, écrire leurs rêves même fiction.