C’est l’hiver derrière les persiennes à nu de teck c’est l’hiver sous la buée tiède qui a envahi le carreau comme une tache trouble que son doigt n’a pas tenté d’effacer elle se souvient qu’elle ne désirait pas vraiment faire le constat du dehors qu’elle avait peut-être oublié en ce temps-là ce que dehors signifiait en dehors d’elle et de son dedans troublé et sous la buée courait le reflet du spot électrique qui derrière elle tachait point aveugle la pièce vidée d’âme
C’est la nuit derrière les persiennes elle s’est levée pour l’observer par la fenêtre la nuit qui a rampé autour de la maison tache sombre étalée autour des murs qui ne la contiennent plus tant elle s’est évaporée dissoute ce premier jour aux échos de mots neufs comme à l’aube nette d’une partition nouvelle qu’elle aurait baignée à l’encre de la nuit qui rampe sous la fausse transparence du double vitrage et il lui a semblé que le carreau résonnait de ce qu’elle ne dirait plus de ce qu’elle ne crierait plus paroles cristallisées enkystées dans le verre épais dont elle ne sent plus le froid même dans la nuit
C’est l’aube derrière les persiennes qu’elle relève d’un doigt las sa gorge est sèche de la fumée qu’elle a fumée enroulée en volutes indécidables autour du cordon qui règle l’inclinaison des persiennes cordelette marron qu’elle entortille autour de son index promesse serpentine et premier affolement de ce qu’elle pourrait les lever les persiennes peser enfin les livrer plus haut se délivrer de leur horizontalité stagnante
C’est le champ derrière les persiennes le champ et le chêne centenaire auquel elle a grimpé des dizaines de fois s’enroulant ou se déroulant le long du tronc se rassurant de sa chaleur dans les étés drapés d’enfance dont elle se souvient sans effort avec la même aveuglante intensité même sous la taie grincheuse des années en jachère la vitre à ce moment-là est impeccable limpide et lui découpe clairement cette portion rectangulaire de paysage qui reste ruban soyeux dans sa mémoire fil d’Ariane et de lin sous la caresse insistante des herbes hautes dans sa mémoire ivre de l’odeur des herbes coupées dans sa mémoire brûlée
C’est l’autoroute derrière les persiennes et le grondement des huit mille camions par jour qui passent sous le pont sur lequel est construite la maison des Sept Frères Zazpi Anaïak le carreau est fragile le mastic a débordé elle avait parfois l’impression qu’il s’agissait d’une fausse fenêtre une fenêtre à clapets qui s’ouvrait sur l’autoroute puis sur la mer alternativement dans les bruits de bielle qui montaient d’en bas du dessous des camions qui passaient sous le pont que juchait la vieille maison qui montaient dans leur grondement de la ligne brute d’asphalte qui passait sous le cœur de la maison dans laquelle elle avait eu son bébé