Les vingt textes que j’ai écrits sur mon aventure tout au long de la ligne 21 des TCL et les quelques autres au fil des propositions m’ont fait réfléchir à mes penchants en termes d’écriture (l’enquête, la micro-fiction, la comparaison). Ils ont fait surgir une tentation.
Hypothèse 1
Ce serait une enquête, un parcours de découverte, une recherche, un arpentage, un défrichage pour faire advenir ce qu’on ne voit pas, ce qui se cache sous les jupes du réel, sous l’idée qu’on s’en fait, sous les questions que l’on n’ose pas se poser. Parcourir une ligne de bus chaque jour, rechercher une paternité inconnue dans les archives, découvrir le lac de Vassivière, enquêter sur les mauvaises herbes de son jardin, retrouver tous les ouvrages d’art de la ligne Paray-le-Monial — Givors-canal, marcher, s’intéresser aux choses les plus menues, aux gens que l’on croise et qui vont quelque part ou qui restent sans bouger. Explorer les traces, rechercher les indices, établir une stratégie d’approche, décrypter les sources, insister patiemment, revenir planquer inlassablement, trouver un moyen d’en garder la mémoire.
Hypothèse 2
Ce seraient des histoires, des récits minuscules à propos des choses de la vie, de ce qui arrive tous les jours, des faits divers qu’elle entend ou qu’elle lit, un chien qui se perd dans la neige, une amie qui voit des choses dans la lumière de ses phares de recul, le jour de la marmotte, St Barth et les aventures de Laetitia, un vol de sapin, l’accident du prince Philipp, une discussion à la table familiale, un terme en technique photographique, Kim Kardashian, la préparation d’une exposition, les tableaux Excel, les manies alimentaires des uns et des autres, les déchets canadiens refusés par les Philippines, Casey Neistat, le GPS, sa décision de ne plus se teindre les cheveux, des histoires d’amour malheureuses qu’on lui a racontées, une recherche généalogique de quelqu’un qui ne connaît même pas son grand-père, mais a eu un ancêtre célèbre dans la conquête de l’Algérie, une enquête historique sur les rapatriés du Vietnam dans l’Allier. Tous les jours, on lui confie des histoires, elle en vit, elle en lit ; tous les jours on lui pose des questions ; tout lui sert à bâtir ses historiettes.
Hypothèse 3
Ce serait une tentative de comparaison, de mise en relation, de mise en abîme. C’est encore une forme d’enquête. Comment vivent les autres ? Que font-ils ? À quoi aspirent-ils ? Sont-ils satisfaits de leur manière de faire ? Ne néglige-t-on pas trop le besoin de comparaison pour comprendre ce que l’on vit, comment et pourquoi on le vit. Adhérer ou rejeter, en faire son miel ou s’en détacher, apprendre de ce font les autres. Une histoire de point de vue, de cadrage, de focale. D’où voient-ils le monde ? Comment le voient-ils ? Se risquer à imiter ou y voir surgir sa propre originalité, sa spécificité, son unicité. Expérimenter la diversité des regards sur le même réel.
En comparant ses photos à celles de Franck Gérard sur un même territoire, elle se comprend mieux : ils ne choisissent pas les mêmes arbres ! les rangées d’épicéas plantés l’ont fasciné alors qu’elle n’a pris que les arbres séculaires rescapés de la montée des eaux. Elle apprend aussi de sa façon de rendre les plages et leurs images du lotissement vendu à la découpe près du village vacances sont presque identiques. C’est sa manière de dire ses remuements intérieurs, son regard sur le monde, ce qui l’occupe, ce qui fait sa vie intime.
Hypothèse 4
Ce pourrait-être de faire complètement autrement. Se détacher du réel, se détacher du sens. Aller à l’encontre de son penchant naturel, délirer, fictionner, grandiloquer, sentimentaliser, soliloquer, déclamer, mettre en scène, déjanter, geindre, se plaindre, hurler. Sortir de ses historiettes gentillettes. Amplifier et dramatiser le propos. Elle ne sait pas faire, il faudrait essayer. Elle rationalise trop dès qu’elle se détache du concret, elle généralise, elle fait système, elle organise, elle cherche les invariants, elle établit des lois, elle fait lourd. S’essayer timidement au léger foutraque. Se laisser aller à la tentation.
Hypothèse 5
Il faudrait prendre le temps, ne faire que ça, solliciter une résidence d’écriture (à Vassivière « on est logé dans le château, c’est tout blanc »). Comment font-ils tous pour produire des livres de 200, 400, 1200 pages ? Elle y passe pourtant beaucoup de temps alors qu’elle écrit vite, ne choisit pas ses mots, ne travaille pas la langue, laisse jaillir ce qui mijote dans sa tête; mais c’est insuffisant, cela ne fait pas oeuvre qui tiendrait ensemble, cela reste à l’état de fragments. Le problème c’est ce coup de collier qu’il faut donner pour arriver au produit fini, comme pour un labour, le moment où l’on prend le temps de tout revoir, mettre en ordre et afficher. Ce coup de collier qu’elle ne sait pas donner, elle boeuf de labour, elle pas cheval. Elle s’y prend trop tard de toute façon. Il faudra pourtant qu’elle le fasse.
Ah merci Danièle pour ce questionnement où je me retrouve: Suivre sa pente ou la prendre à rebours ? De temps en temps je me remémore ce joli aphorisme d’Oscar Wilde : soyez vous-même les autres sont pris ! ça me fait rire mais c’est un peu court à l’épreuve de ce qu’on traverse en écrivant, le profit qu’il y a à comparer et se comparer parfois, le profit qu’il y a se laisser dériver, ou à contrarier nos postures. et le coup de collier alors ! Tout cela est si intriqué, si complexe et en effet pourquoi pas Kim Kardashian et le consort… je n’ai pas la réponse, je crois que la seule possible est : écrire . mais la question est peut-être plus importante que la réponse… la voilà bien posée.
Merci Catherine. Nous en sommes tous là, je crois. les mêmes questions l’an dernier en fin d’atelier et les mêmes non-réponses. Et surtout cette difficulté à boucler quelque chose d’un peu fini, présentable. Parfois je m’emporte contre les ateliers et puis j’y reviens; c’est encore là que j’avance le plus.
Chouettes hypothèses, les sensibles et celles qui veulent du farfelu, en tout cas les premières bruissent de rencontres, de regard sur le minuscule ( votre une écriture microspcope) et sur l’ensemble quand vous écrivez plan large,
Espère arriver à quelque chose de mon côté, la lecture de votre 9 y contribuera, j’en garderai la variété et les pistes naturelles, ( en pente ? tâchons de la descendre à toutes jambes alors, avec de l’air dans la bouche)
Je lis et relis votre questionnement, il fait donc écho à mes propres questions. Pourquoi écrit-on ? la réponse est peut-être dans les textes que nous écrivons, dans la relecture de ce que nous écrivons et qui soudain nous surprend. Quand notre écriture nous surprend, il doit y avoir une voie à explorer.
Ah oui, je suis surprise quand je relis. j’oublie ce que j’écris au fur et à mesure et n’ai guère de plaisir à m’y replonger, d’où sans doute ma difficulté à aller plus loin. L’inspiration , l’émotion se sont envolées, je n’y crois plus.
merci de votre lecture.
Merci Catherine et bon courage pour vos explorations.
« il faudra pourtant qu’elle le fasse ». Oui ! S’il vous plait. D’ailleurs, votre texte me semble presque … déjà … une introduction.
Passer des fragments à l’œuvre qui tient ensemble, voilà un problème qui résonne pour moi. Je me dis que vos fragments à vous sont déjà bien articulés, ne serait-ce que par votre style. Mais pas seulement. Je vous l’ai déjà écrit : grâce à vous j’ai pris le bus tout l’été dans une ville que je ne connais pas, rencontré des gens, souri de scénettes, réfléchi à des questions légères ou engagées … J’ai adoré ça !
J’essaie de « vendre » mon reportage aux TCL pour faire la promotion des transports en commun. Ce sera peut-être là que j’arriverais à faire tenir ensemble. Continuez à prendre le bus, c’est bon pour la planète !
C’est votre bus écrit que j’ai pris !
Moi, le plus souvent possible, je prends le tram 🙂 Et je marche.