A genoux. Il est recommandé d’oublier la maison qui se trouve autour et les champs et les bois qui sont encore tout autour d’elle. Ouvrir la boite oblongue, noire, avec ses senteurs de vieux métal et de résine de pin. Les fermetures claquent et tout en vibre. Savoir s’arrêter. Respirer simplement. Fermer les yeux pour que revienne l’image multiple des lieux multiples où cela s’est déjà produit. Sans en avoir suffisamment le temps à chaque fois. Soulever le couvercle, faire apparaître le velours bleu et ses luisances. Et ces traits de colophane comme autant d’étoiles filantes qui se seraient figées. De coups d’archet maladroits. Ne pas le soulever encore. Le ou peut-être la, devrait-on dire, comme font les Allemands. Et les Russes. Faire doucement rouler le fond arrondi d’épicéa contre le fond plat de l’étui. Comme on berce un être pourtant bien plus vieux que soi. Mais toujours capable de crier, de crisser et de chanter aussi. Les jours d’adresse. Il y a une petite couverture à retirer, jaune. Faite de ces tissus avec lesquels se gommait délicatement la poussière des meubles en un autre temps. Les cordes apparaissent, brillent. Les doigts y vont, forcément les doigts y vont, ils ont le prétexte d’accorder, en réalité ce sont eux qui s’accordent. C’est d’ailleurs le moment du grand soupir. Il ouvre la montée en volute à toutes les musiques qui ont été jouées là, consciemment ou inconsciemment. Il y a eu des soirées de bal enfiévrées. Il y a eu des matins d’étude patiente. Ou crispée. Mais rien n’égalait les veilles d’audition. A vomir dans les ouïes. Heureusement qu’il y a eu ensuite les soirées de bal à s’oublier derrière le son puissant des hautbois et des cornemuses. Et les moments de plus grande liberté encore. Ces années bénies où les encore confinés n’osaient que les musiques à peine sorties de leurs boites ouatées. Ou les sonos ne quadrillaient plus les places à cafés. Ces quelques années dont il faudra bien se souvenir pendant longtemps sans doute, religieusement.
Je souscris à cette religion.