La boite rectangulaire en plastique est blanc opaque, elle est déposée sur un petit talus. Par-dessus ou autour d’elle, une multitude de mains planent déjà, d’autres sont prêtes à s’envoler, en appui contre les parois du corps : posées sur les hanches, croisées sur le ventre, rangées le long des jambes, croisées derrière le dos. Une première paire enlève le couvercle. C’est le matin, la troupe est à la fois fatiguée et joyeuse. Les plus voraces, les plus habituées, se précipitent. Certaines s’arrêtent dans leurs mouvements, qu’elles hésitent quant à leur cible, ou qu’elles essayent de ne pas toucher celles d’autrui. D’autres s’effleurent comme au bal de la veille. Quelques-unes tremblent, sont fébriles. Certaines ont des coupures, des pansements. Les plus habiles plongent, piquent, et se retirent rapidement sur le côté. Comme dans un jeu de fête foraine, parfois le pouce et l’index laissent échapper le morceau de nourriture, recommencent, les autres continuent leur suspens dans l’air matinal, pendant que leurs propriétaires discutent. Soudain l’une décroche vers un morceau de lard chaud. Son fumet attire les convoitises. Pour les fromages, cela demande plus d’attention et d’espace, il faut pouvoir récupérer le couteau d’une autre pogne, ou demander dans le tumulte de couper une part avec toute la politesse requise. Un peu d’espace est nécessaire. Souvent c’est au deuxième passage, au trafic moins dense, qu’il sera plus accessible. Les aliments qui étaient joliment présentés deviennent dépareillés, la rosette chevauche le comté qui s’appuie contre les carrés de chocolat. Des allers-retours ponctuels continuent une fois que le groupe s’est éparpillée aux alentours, vendangeuses-vendangeurs assis en tailleur ou sur les seaux retournés. Le sac de toile avec le pain tranché est à quelques mètres. Certaines et certains enchaînent de manière fluide les deux prises, beaucoup attendent avec quelques piétinements, ou pas de détente. Pour le sucré, le chocolat est prisé en fin de pause, comme le café. Les plus souples plient les genoux, se permettant une proximité avec les mets sans être à leur verticale ; leurs gestes sont précis, relâchés, sans tension. Plier le dos est souvent le signe d’une semaine déjà éreintante. A quelques mètres encore, un cubi de vin rouge et un cubi d’eau remplissent les verres, qui trinquent à la fin de l’été. Les minutes s’égrènent, dernières goulées avant de reprendre la serpette.
Super egalement. Précis, plein de vie, on croirait un tableau.