Passe la porte blanche plate très plate sans moulures, à poignée en bec-de-cane, la typique porte basique des logements des années soixante et là, dans une chambre tapissée de jaune, vois ces enfants jouer avec leurs poupées près d’une malle en osier remplie de ce petit monde comme une foule dans un fourgon. Passe la porte-vert épinard de la salle de bain, une femme âgée y prend son bain en contemplant l’espace, vaste et carrelé, la magnifique céramique blanche et noire et à travers la fenêtre, la mer d’un bleu intense, elle soupire Bon Dieu j’ai réussi ma vie et que me reste-t-il ? Passe l’humiliante porte de la chambre verrouillée, sur quel secret ? Impossible de rentrer, dans la pièce à côté remplie de cartons et dépourvue de fenêtres, une fille grelotte sur un matelas à même le sol . Passe la porte voilée où cette femme assise sur son lit geint : Je suis envahie, envahie par lui, mon corps et mes pensées envahies, mon cœur et mes nuits envahies, mon temps et mon espace envahis, je vais fermer cette foutue porte avec un tendeur, y pousser un meuble ou la bloquer avec une chaise. Passe la porte de ce cauchemar qu’un homme menaçant déshabille comme on retire la peau d’un lapin révélant son âme, des croisillons en bois de cageot qui n’a rien de protecteur. Passe la porte au bout de l’allée en haut du petit perron avec ses trois marches de pierre, cette porte vitrée de couleur verte sous dentelle de fer, elle racle fort le carrelage qu’elle a strié de noir et à l’intérieur, face à un pan de mur rose Malabar, une jeune blonde fait face à un miroir et d’une torsion du buste essaie d’apercevoir ses fesses qu’elle a si rondes. Passe cette porte bordeaux en lattes de bois pourrie à sa base et fermée par une vieille clenche à pouce qui isole si mal de la grange en terre battue, son odeur humide, le tas de bois, le ballon d’eau chaude et tous les rebuts dont le vieux vélo comme plié en deux de douleur qu’un homme en Charentaises observe d’un air dépité. Passe la porte du placard et comme un grattement qui vient de l’intérieur qu’une femme interrompt en l’ouvrant pour y poser une gamelle de nourriture , passe et même si tu crois y apercevoir un enfant. Passe la porte de la cellule de cette femme qui se soulage en montrant un doigt en direction de l’œilleton qui semble cligner. Passe les deux grands battants de la porte du lycée lourds de toute la ferronnerie qui les grillage devant lesquels deux professeurs dans une discussion très animée décide de ton sort sans te consulter. Passe la surface invisible de la porte vitrée et le choc de l’homme qui s’y cogne révélant sa présence. Passe la porte en bois vert bouteille au cinquième étage de cet immeuble haussmannien contre laquelle un jeune homme frappe du plat de la main et supplie d’une voix de plus en plus faible. Passe la porte du second où ce jeune couple fait l’amour bruyamment. Passe le portillon automatique de la station où il t’attend tandis que tu piaffes derrière, exaspérée en lisant pour que les secondes accélèrent le message inscrit en lettres blanches : «portillon automatique. Il est interdit d’empêcher son fonctionnement. Ne pas tenter de passer pendant la fermeture ». Passe ce trou dans la porte de sa chambre tandis qu’il t’explique en ricanant : J’ai fait ça un jour où j’étais vénère contre ma mère. Passe la porte au petit bloc à messages, 2e gauche, et la bande rugissante et glapissante de petits cons qui se tord de rire en rédigeant le leur agrémenté de dessins obscènes. Passe le bruit de multiples verrous provenant de la porte voisine, et le claquement de la chaîne du bloque-porte tandis que la porte s’entrebâille et découpe un morceau de visage réprobateur. Passe la porte du 3e et fais semblant de ne pas voir la petite fille rougissante avec son assiette sur ses genoux où refroidit son repas.
ça passe, ça glisse, ça emmène
Merci d’être passé par là, Marion
J’aime beaucoup ce texte avec ces passe la porte à répétition comme qqch d’entrevu et interdiction de s’y attarder d’en dire plus. Merci, Catherine.