C’est un je qui dit qu’il court sur les bords d’un vieux volcan. Un je qui tribule d’une époque à une autre, passager clandestin qui s’approprie des histoires vraies et les réorganise dans des versions chaque fois vraisemblables. Un je à qui on fait raconter des histoires de géants. De sa petit baguette de sourcier il fait jaillir des phrases que j’adopte malgré moi. Toujours ce léger décalage entre sa version et la mienne. C’est un je avec des grandes dents, un je qui mord des images un peu figées, les machouille, les enduit de salive pour mieux les digérer, les sucs gastriques de son petit estomac les réduiront en bouillie et tout restera à recommencer.
Elle regarde se dérouler le fil d’une histoire qui pourrait être la sienne, une version possible, assez vraisemblable, bien ficelée. Elle regarde ce je tenter d’endosser des rôles dans des scènes dont sa mémoire n’a conservé que quelques traces. Elle s’efforce à son tour de se mettre dans ses pas, d’endosser ces habits, ses habits, de rejouer, ressentir. Elle suit ce je dans la progression de la ligne bleue sur la page. Parfois elle le précède et l’écriture prend alors son envol.
Hésitante d’abord, parfois encombrée d’elle-même, l’écriture cherche son souffle dans le rythme des mots tracés sur la page. Dans le grand carnet noir à couverture souple, le troupeau des mots s’ébroue guidé par une petite plume de geai cachée entre deux pages.