La première carte postale montre une vue de Cayenne prise du château d’eau. Les toits à double pente couverts de tôle, les bâtiments en bois à un ou deux étages, un bâtiment administratif en brique aux arches romanes peintes en blanc (le tribunal?), rien de bien exotique excepté les palmiers que l’on distingue sur la droite du cliché. La taille d’un village bien français au bord de la mer au loin avec sans doute le mât d’un brick dans le port. L’imprimeur s’est trompé dans l’orientation du négatif, les palmiers de la place des palmistes devraient être à gauche de la carte et la colline de Montabo à droite. Claudette explique qu’elle fait imprimer ses cartes à Nancy et qu’il y a effectivement une erreur que personne ne remarque. Elle a fait un tirage de 500, elle ne va pas recommencer. Sous l’image dans la marge blanche il est noté « Cayenne vu du château d’eau Claudette G. reproduction interdite », le sigle de l’imprimeur est apposé sur l’image dans un cercle IMPR. REUNIES NANCY
Sur la seconde on voit le débarcadère de Cayenne ; le vapeur du courrier est au bout du ponton de planches, sur le quai plusieurs voitures, un homme à vélo, un enfant avec de longues chaussettes blanches et des souliers montants. Les hommes en costumes clairs, casque colonial sur la tête, les femmes en tenues claires et ombrelles. Il y a du monde, de l’animation sur le quai. Claudette montre une autre carte postale du débarcadère de Régina-Approuague cette fois. Même impression d’animation, tout le monde est à pied et il n’y a pas de voitures, et pour cause on ne vient à Régina que par l’eau, la mer d’abord puis la rivière Approuague. Ce que les cartes ne disent pas, c’est que le courrier n’arrive qu’une fois par mois de France et que le vapeur ne dessert Régina qu’une fois par semaine depuis Cayenne. Pas étonnant qu’il y ait du monde pour les attendre. Ensuite on continue en pirogue, mais cela on ne le voit pas.
Deux autres cartes postales dont Claudette est particulièrement fière montrent un chercheur d’or accroupi dans l’eau avec sa battée sur l’une et une plantation de canne à sucre sur l’autre ; le champ est en cours de récolte et un homme avec son casque colonial pose à côté des cannes qui mesurent deux fois sa taille. Parfaitement exotiques — j’ai des commandes pour la prochaine exposition universelle — qui ne montrent qu’une partie de la réalité. Où sont les dragues qui creusent le sable au fond des fleuves ? Où sont les coupeurs de cannes et les moulins ? Moins joli à montrer ! C’est un ancien bagnard qui me fait les clichés, il s’est établi boulanger à Saint-Laurent du Maroni lorsqu’il a été libéré — il aurait tué sa femme et sa belle-mère, dit-on — et il préférait reprendre son ancien métier plutôt que d’avoir un lopin à cultiver. Je ne sais pas d’où il a appris ni d’où il tient son appareil — il avait, parait-il, deux collègues bagnards eux aussi qui le lui auraient cédé-. On a trouvé un arrangement, mais j’ai peur qu’il abandonne ou qu’il disparaisse.
Celle qui se vend le mieux, c’est celle du remplacement du gardien du phare de l’enfant perdu, un îlet au large de la rade de Cayenne. Impressionnante ! Deux barques en mer à quatre rameurs chacune, deux hommes en costume blanc et casque colonial observe le transbordement du gardien au bout d’une corde qui tient à un palan manoeuvré par deux hommes, le gardien sur le départ, grand galurin sombre sur la tête attend la relève. À Cayenne, il est aussi célèbre que le bateau light house à l’embouchure de la rivière du Surinam et tous les ont vus qui sont venus de France par la mer, c’est pour ça qu’elle se vend si bien. Galmot lui a consacré un chapitre dans « Quelle étrange histoire » :
« Le bateau pique droit sur la côte.
L’estuaire de la rivière de Surinam s’ouvre en éventail.
Sur le fond creusé par le courant, la mer démontée nous secoue.
Voici le ponton, le Light-House, qui marque l’entrée du fleuve.
Sur ce ponton un homme est seul. C’est un vieux forçat.
Depuis vingt ans, il est là, isolé du monde, durement secoué sur cette barque vermoulue.
Chaque mois, le courrier dépose la caisse de provisions qui le ravitaille.
Son indifférence à la vie est telle qu’il n’a pas quitté son hamac pour saluer notre passage.
Le pilote a jeté à ses pieds la corbeille qui contient l’eau douce, le biscuit et le porc salé.
Pendant quelques heures nous apercevons la barque du forçat que la mer roule comme un bouchon. »
Peu probable que le même homme soit là depuis vingt ans sans relève, mais la fiction a tous les droits ! Le gardien du phare de l’enfant perdu a au moins un abri en dur !
Jean aime cette affaire de cartes postales et le modernisme de Claudette l’impressionne. Elle sait saisir ce qui marche, ce dont les gens ont besoin, de chaussures comme de cartes postales. Cela fait un moment que l’idée lui trotte dans la tête de faire quelques reportages sur son habitation, mais des choses qui iraient un peu plus loin qu’un article dans le journal pratique d’agriculture tropicale, qui montreraient et diraient ce qu’on ne voit pas sur les photos. Il a lu les reportages de Jean Hess sur le prisonnier Dreyfus. Les photos qu’il a rapportées ont même permis de changer les cartes et ses écrits d’accélérer la libération de Dreyfus. C’est quelque chose qu’il aimerait faire et réussirait sans doute mieux que dans la culture de la canne. Il faudra qu’il y pense.
ce qu’on ne dit pas pour le chercheur d’or c’est l’empoisonnement de la rivière par le mercure (mais peut être pas à l’époque
documentaire en temps passé et proche des personnages qu’il donne encore davantage envie de connaître
Plein d’histoires dans et à travers ces images, racontées visuellement, on y est. Je suis d’accord avec Brigitte Célérier, on a envie d’en savoir plus, de connaître mieux les lieux et les personnages.
merci de ta lecture.