La neige n’est pas blanche, déjà elle a viré au gris, ce n’est pas la neige qu’on imagine en rêves immaculée, légère presque sucrée au contraire c’est celle, vraie, déjà tassée, déjà piétinée de mille semelles alors il ne s’agit pas du petit matin les traces au sol, la journée est déjà avancée, sont les aiguilles qui mesurent l’instant. Lignes perpendiculaires dessinant le deuxième plan, quelqu’un a marché ici dans des traces précédentes, tandis que le premier patauge dans un amas de neige craquelée hésitant encore entre l’eau et la glace. Le ciel lui est immaculé, d’un blanc parfait, à lui la moitié de l’espace. Une ligne centrale se tend vers un horizon grisonnant. Sur la droite de cette ligne, des arbres aux troncs hauts avant que leurs premières branches ne soient soulignées de blanc font face à d’autres, tout à gauche de cette droite tendue comme là pour un pli, garder l’instant dans un portefeuille, une poche à soi, ce ne sont pas les mêmes les arbres de ce côté-ci, ils sont loin eux-aussi mais on devine la lourdeur de la neige qui pèse sur leur verticalité de sapins. Le noir et blanc accentue ce poids et ces pas, dans la neige. Au centre, deux chiens figés dans leurs jeux entourent un parapluie. Lui couve deux êtres emmitouflés traversant le paysage d’Est en Ouest.
Hiver 1984 Bois de Vincennes (côté Charenton-le-Pont)
Noir et blanc encore. Un regard bienveillant, souriant descend sur une enfant qui pose, sourire aux lèvres. Une femme noire, au foulard sur les cheveux penche ce regard sur l’enfant, depuis la troisième des quatre fenêtres d’un van arrêté là. Deuxième fenêtre, un homme noir ne s’intéresse pas à la scène pourtant offre à la photographie ses dos et regard droits. Première fenêtre une femme blanche, cheveux au carré, lunettes d’un grand ovale, chemise froissée aux manches retroussées, tient un appareil photo, argentique ensembles regardent l’enfant, elle d’un sourire encore plus grand, maternel. Une cale en bois est positionnée, pneu arrière gauche sur cette piste bordée d’une végétation dense, comme non planifiée, vivante. L’enfant claire de peau aux cheveux courts porte un sweat où trois lettres sont écrites en grand BOY, les mains posées l’une sur l’autre à hauteur de ceinture, un jean un peu trop grand, gros ourlets s’aplatissant sur une paire de tennis claires, regarde l’objectif complice, droit devant.
1982 sur les pistes, en chemin vers le Ghana
Une photographie floue. Deux corps, deux femmes, halés, brunes, serrés, souriantes, se tiennent. Le bras et le menton de l’une posés sur l’épaule de l’autre. C’est aux beaux jours, la photo a été prise à l’extérieur, de simples débardeurs beige, chocolat habillent ces corps, aucun bijou n’emprisonne un quelconque rayon de lumière et dans le flou généralisé subsiste un coin de ciel clair et une frondaison d’arbres bien verts derrière. Un accident peut-être : manquent les fronts, même les yeux de l’une. Mais ne manque pas la sensation de tendresse qui se dégage de l’instantané. Aucune mention pour lever le flou. Décor : un corps, des corps. Plage urbaine au loin se dessine une muraille haute et derrière quelques longs bâtiments. Aux pieds des remparts, cabines de plage sagement alignées tandis qu’en se rapprochant de l’appareil naissent les corps, d’enfants surtout, pataugent seuls ou en petits groupes. Mais tout cela n’est que détails. Une bouée au sol, aux deux teintes indéfinies, noir et blanc oblige, aux pieds d’un corps celui d’une jeune fille, bientôt une toute jeune femme, brune souriante élancée pose les bras le long du corps, semble à l’aise, aucun geste n’est ajouté pour l’occasion pourtant, aucune posture ne révèle la singularité du jour gardé là, corps habillé d’un maillot de bain deux pièces, couleur foncée, large culotte, haut en triangle et bretelles fines, épaules et cou dégagés car les cheveux sont courts, peut-être attachés, on ne saurait dire et une légère brise semble parcourir la frange qui presque masque les yeux tendus vers l’œil de l’appareil.
1966 Au bord de la piscine d’eau de mer à Saint Malo
Codicille : J’avais envie de vieilles photos, pas de celles qui s’entassent dans mon téléphone. Je voulais qu’elles puissent avoir un sens, du poids, justement pour n’en rien révéler. Mais je vis ici comme dans une parenthèse (enchantée) : aucune photo ne m’a suivie en Espagne. A dire vraie, dans cette maison qui est le chez-nous des enfants, en Normandie, il n’y a pas de photos non plus, aucune photo de l’avant couple, de l’avant parents. Drôle non ? Alors j’ai appelé ma mère, elle gardienne des albums, des vies anciennes en lui confiant une mission : choisir 4 photos, que je me laisse ensuite porter par ce que je voyais, par ce que j’imaginais qu’elle y avait vu et finalement n’en garder que le littéralement visible.
Belle expérience, j’ai particulièrement aimé la description de la photo floue, les corps coupés, les corps-décors. Merci
Merci Irène! Ce n’est pas si simple cet exercice de description alors je suis heureuse que tu aies apprécié ces quelques fragments 🙂