Première photo en noir et blanc : 6 cm x 4,4 cm + 2 mm de bord blanc dentelé, tirage mat.
Portrait en buste d’une jeune femme, 25 ans environ, qui regarde droit l’objectif, air concentré, sans sourire. Au dos, d’une écriture appliquée à la plume trempée dans l’encre noire : « A mon amour, avec mes pensées les plus chaudes et le meilleur de mon âme {qui est} tienne pour la vie. V. »
[qui est], certainement oublié, a été rajouté entre les mots et à cheval sur deux lignes.
En bas, la date : le 13-11-45
Toujours au dos de la photo, on arrive à distinguer deux tampons : Oy dans un carré vide (probablement, la marque du photographe) et à peine visible sous le texte, 13 NOV 1945.
La jeune femme n’a pas attendu pour envoyer son portrait à celui qu’elle appelle « Mon amour ».
Chevelure noire abondante ondulée jusqu’aux épaules, coiffée en montagnette, comme c’était la mode en cette fin de guerre, deux grosses boucles d’oreilles blanches ou crème, façon coquillages polynésiens, éclairent l’ovale de son visage mat dont seules les lèvres sont maquillées.
Elle porte un chemisier blanc bien repassé à col pointu sous un pull sans manches bleu marine ou noir tricoté main, avec brodées de couleur plus claire ses initiales VB, un fin pendentif orne le pull. Tout semble pensé pour favoriser les contrastes. Le col amidonné forme deux becs blancs sur le pull foncé, les boucles d’oreilles claires valorisent la chevelure de jais.
Deuxième photo : 8,4 cm x 13,2 cm + 3 mm de bord blanc sur tous les côtés excepté celui du haut de 8 mm. Tirage mat, papier épais, certainement fait par un amateur.
Même jeune femme habillée à l’identique. S’agit-il du même jour ?
Elle tient un pinceau levé dans la main droite et un tube de peinture de la main gauche, dans une pose qui suggère qu’elle apporte la touche finale à son tableau, face à elle, représentant deux chatons joueurs au poil blanc et roux, un ruban rose noué autour du cou de l’un d’eux.
Son visage est penché, tourné de trois quarts vers l’objectif et elle sourit franchement. On voit son buste entier et l’on remarque que les manches de son chemisier s’arrêtent au coude laissant dénudés ses avant-bras, une simple montre à cadran rond au poignet gauche et un fin bracelet, peut-être en or, à l’autre poignet.
Dans la pièce peu éclairée, on devine une tapisserie à grosses fleurs couleur sépia. Au niveau de la tête de la jeune femme, sur le mur du fond marron, deux embouts électriques blancs vissés au mur reliés par un fil électrique, orphelins de leur néon.
Au dos de la photo, « Paris le 18-12-45- En gage de mon amour qui restera fidèle et sincère. Ta petite chérie V. »
Troisième et quatrième photo, toutes deux de même format : 8,2 cm x 5,4 cm + 2 mm de bord blanc dentelé. Tirage brillant.
Même jeune femme, cette fois-ci habillée d’une veste beige ras du cou à épaulettes et manches longues, fermée d’une broche ronde, les deux mains sur les touches du clavier d’une machine à écrire, dépourvue de papier à lettre, posée sur une petite table en bois foncé, tête légèrement penchée accompagnée d’un léger sourire, montagnette moins haute et pas de boucles d’oreilles. Prise de vue visiblement mise en scène sur le lieu de travail, un appartement dont on aperçoit au fond une porte à carreaux vitrée fermée ainsi que sur la droite un radiateur. Des restes de timbres restés collés et arrachés, dont un de couleur rouge, masquent la partie droite de la photo.
Au dos, sans date : « Ta petite dactylo qui t’aime bien. V. »
Sur la dernière photo, c’est encore la même jeune femme souriante, vêtue d’un pull clair, une main posée sur un poste de radio et l’autre tournant les boutons, semblant chercher une fréquence d’ondes. Fin de l’Occupation.
On doit être dans la cuisine ou la salle à manger, une nappe en plastique à gros carreaux recouvre la table sur laquelle est posée la radio. Seul au mur, une espèce de drap-rideau pendouille.
Au dos de la photo, ce n’est pas la même écriture : « Paris le 20 Oct 45. »
Je suis très touchée par les photos messages de cette jeune femme, par la façon dont elle se met en scène. Une atmosphère très forte se dégage de la série de photo et le portrait de la jeune femme a une réelle épaisseur. Intriguée par cette écriture qui n’est pas la même sur la dernière photo, j’imagine plein d’histoires. Bravo !
De belles trouvailles dans ce texte ! J’ai aimé « orphelins de leur néon » et cette fin qui s’ouvre sur l’auteur inconnu invite à lire une suite ou comme le dit Aline nous engage dans notre imaginaire. Bravo