Finalement, tu as eu 47 ans.
Pour tout le monde, tu t’es arrêtée, vaincue, à 46.
Dans le silence et dans l’absence, tu as poursuivi ta lutte contre la vie et tu as eu 47 ans.
Tu as lutté contre la vie qui t’as été donnée, et dont décidément, tu ne voulais pas.
Tu as décidé que non.
Tu ne voulais pas de celle-ci.
Comme c’est toi qui choisis, tu en as poursuivi une autre.
Dans le silence et peut-être même sans en avoir la conscience, tu t’es installée dans un lieu de couleurs et de peintures sur les murs. Un lieu de tableaux de paysages. Tu as élu vie ici.
Un foulard sur la tête, rappelant l’autre lutte, celle d’avant, tu accueilles chez toi. Tu accueilles pour parler de tous ces tableaux qui t’entourent, pour parler de ton désir timide d’écrire sur ces tableaux, à partir des tableaux dis-tu, il y a des mots à inventer.
À partir de tableaux de paysages, toi qui n’as jamais rien osé, à part quitter la vie, tu parles d’oser. Tu avoues vouloir oser, avoir envie. Tu avoues vivre. C’est une si grande surprise que personne ne le remarque. Pas même ta fille. Elle te rend visite, une nuit, accompagnée de l’homme qu’elle aime. Elle te le présente. Tu les fais entrer. Tu souris doucement sous ton joli foulard. Les cheveux repoussent si lentement, dis-tu. Tu leur montres les tableaux, dans l’entrée, tu leur parles du papier-peint jaune avec ces motifs que tu aurais aimé peindre toi-même. Tu montres le tableau d’un bateau qui fend l’écume et expliques que tu as pour projet d’écrire et même de faire écrire sur l’histoire de ce bateau, sur la couleur de cette vague, sur l’odeur de cet océan…
Tu souris doucement. Comme avant.
Tu as le regard doux. Comme avant.
Tu dis que tu vas mieux.
Tu dis que tu es presque guérie.
Tu dis que tu aimes vivre dans cet endroit, que la couleur jaune te rassure.
Tu dis que les tableaux sont de bons compagnons de journées et de rêves.
Tu dis que tu es contente de la voir, que tu es heureuse de le rencontrer.
Tu dis qu’il faudra revenir, quand tu iras encore mieux et que tes projets couleront des jours heureux avec toi.
Tu dis toutes ces choses que tu n’as jamais dites.
Tu es une version de toi agréable à fréquenter.
Tu dis, d’ailleurs, que cette vie de couleurs t’aurait bien plu, que la vie nous arrive toujours trop tôt ou trop tard.
Tu dis que c’est bien quand même, que tu ne regrettes rien.
Sauf peut-être bien sûr les cheveux qui repoussent.
Sauf peut-être bien sûr le départ.
Pour en arriver là, il t’a fallu t’arracher à la vie qui t’avais été donnée et dont tu ne voulais pas.
Non. Pas avec cette famille-là ! Pas comme ça ! Pas là !
Et non ! Pas cette enfance-là non plus !
Bon d’accord, peut-être cette enfant là de toute façon.
Non ! Tu as dit non si souvent, dans ton dedans.
Tu n’avais jamais possédé de tableau avant.
Le sais-tu ?
Tu n’avais jamais osé aimer avant.
Le sais-tu ?
Tu n’avais pas choisi ta vie avant.
Et ça, dans les couloirs jaunes où tes cheveux repoussent, tu le sais bien.
A force de tant de non, tu as lutté, à ta façon, jusqu’à gagner.
Pour la plupart, tu as perdu la vie.
Le sais-tu ?
J’ai lu ce texte en apnée. Il est bouleversant…. Ravie de découvrir à mon tour ton écriture…