Tu habites une jolie petite maison derrière une porte verte à la peinture écaillée, une porte de ferme que tu ne fermes d’ailleurs jamais et dont on peut apercevoir, lorsque l’on s’arrête devant ou quand on ne fait que passer, les premières pierres d’une grange, dans laquelle tes outils pendent aux murs dans l’attente d’être utilisés. Tes outils, qu’il semblerait, que tu n’attrapes pas souvent car tu ne finis pas tout ce que tu entreprends, c’est ce que tu dis tout le temps. Tu commences et tu t’arrêtes. Tu commences et tu t’arrêtes. Cherches tu à ralentir le temps, à le gagner ? Ne te sens tu plus la force de continuer seul à travailler ? Ne sais tu plus brusquement à quoi tu voulais que ressemble ta salle de bains ? Salle de bains dont la jolie baignoire blanche trône entre des toilettes sans porte et un bout d’évier, mal lavé. Jolie baignoire blanche au dessus de laquelle, est négligemment posé un miroir qui sert à peine à te regarder car tu ne dois pas beaucoup te contempler, ton visage étant pour toi raté. Raté, oui, ce sont tes mots ou du moins, pas conforme à ce que tu ressens de toi, comme si, tu ne te connaissais ou ne te reconnaissais pas. Une énigme, un inconnu à toi même, cet autre que tu vois et qui ne te plait pas, qui ne te correspond pas et que tu trouves ridicule. Cet autre qui pourtant est bien toi et dont toi seul ne sait pas voir, ne sait pas apprécier, ne sait pas accepter, dans le miroir de cette salle de bain que tu dois absolument terminer, ou peut être ne jamais terminer, tu ne le sais pas, tu ne le sais jamais.
Derrière cette porte verte à la peinture écaillée où l’on peut entrevoir les premières herbes de ton jardin et la fenêtre encore en bois, dans laquelle tu regardes les gens entrer chez toi. Les gens que tu n’invites pas beaucoup d’ailleurs car tu vis séparé de ta femme depuis de nombreuses années mais ça tu n’en parles jamais car tu as pris l’habitude de vivre seul et avec tes deux fils, en garde alternée. Tes deux fils déjà grands, déjà adolescents, qui se partagent entre leur mère et toi, entre la ville et la campagne, jusqu’au jour où, eux aussi partiront, et peut-être, te retrouveras tu seul de nouveau, à nouveau, seul, avec la tristesse que tu portes en toi, la tristesse que tu tentes de dissimuler derrière un rire qui parfois jaillit et qui, soudainement, efface la solitude qui se dessine dans tes yeux.
Ta solitude que tu aimes à partager avec ta chienne, une race spéciale dont tu as oublié le nom, ta chienne que tu laisses dans ton jardin du matin au soir quand tu t’en vas travailler mais avec qui tu reviens déjeuner à ta pause, tous les midis, et que tu emmènes promener chaque soir ou à la nuit tombée, le long des champs de maïs et de blés. Ta promenade que tu aimes partager avec ta chienne, même si elle ne cesse de s’évader, d’aller courir après les lièvres ou les lapins, se perdre dans les herbes, se cacher pour que tu la cherches et s’enfuir pour ensuite t’attendre, langue pendante, yeux rieurs, devant la porte verte à la peinture écaillée, de cette jolie petite maison que tu viens d’acheter. Ta chienne que tu appelles ta fille, comblant peut être le manque que tu ressens de n’avoir pas de fille à aimer.
Pas de fille à aimer. Pas de femme à chérir, telle est la tristesse qui t’envahit et ne te quitte jamais. Pas d’être pour partager avec toi le temps qui te reste, tes dernières longues années, car tu n’es plus un jeune homme mais pas encore un vieillard, et ta solitude, tu le sais, tu le sens, serait quand même plus douce, accompagnée. Tu le sais, tu l’attends, celle qui pourrait te combler, celle qui prendrait tes outils, t’aiderait à peindre et achever ta salle de bains. Celle qui marcherait avec toi, main dans la main, dans les champs de maïs et de blé, en regardant ta chienne gambader. Celle qui boirait avec toi ce merveilleux vin blanc de la Loire que tu aimes à faire découvrir, celle qui dormirait dans ton lit, dans ta chambre pas finie. Celle qui poserait sa tête sur tes genoux pendant que tu lui lirais à voix haute tous les livres de ta bibliothèque. Celle avec qui tu ferais l’amour passionnément, intensément. Tu le sais, tu l’attends, désespérément, secrètement, et tu pries. Silencieusement, tu pries et tu attends, ce jour où, devant la porte verte à la peinture écaillée, elle saurait te trouver et oserait entrer.
Décidément j aime beaucoup…j ai l impression de répéter ce que vous avez mis sur mes textes mais je me réjouis de tout cela…à bientôt en zoom ou en textes…
Merci Marie-Caroline – à bientôt.
😉
Je trouve particulièrement intéressants les paragraphes ou on décrit le quotidien par les gestes, on pourrait presque approfondir cette description en restant tapi derrière le personnage, le paragraphe sur la chienne, le paragraphe sur la salle de bain. Il y a quelque chose je trouve à creuser de cette description de ces travaux qu’on ne finit pas, on a envie d’aller chercher du côté du corps, du côté des gestes de la main, pour mieux saisir le personnage, de manière discrète, par petites touches, pour que l’on déduise tout seul ce qui se joue en lui, de manière très plate.