Mains -Tu es là lorsque tes mains se posent l’une dans l’autre, paumes ouvertes et pouces en contact sur toute leur longueur. Les mains l’une dans l’autre, posées dans ton dos, tu marches, tu restes assise, les mains l’une dans l’autre posées sur le ventre, te tournant les pouces. Je ne crois pas à l’ennui, il y a sur ton visage l’expression d’une douce résignation mêlée de plaisir, tu observes, tu te souviens.
Noir -Tu portes une longue robe noire qui s’arrête au-dessus des chevilles, et un tablier à bavette, noué à la taille, des bas noirs, épais, et des souliers, pas de chaussures, des souliers noirs fermés avec de petits talons mais confortables pour la marche. Vestige de ta belle prestance, ton dos reste droit mais le balancement de ta démarche claudicante, quand tu chemines lentement, laisse paraître ta fragilité, tes jambes te portent moins bien. Tes cheveux sont rassemblés en un beau chignon argenté aux reflets violets, tes cheveux qui ont blanchi en une seule nuit.
Guerre – Le bombardement, les avions-bombardiers alliés de la Royal Air Force qui ciblent le dépôt de locomotives de Méricourt et, pour ne pas rater leur but, tout le quartier de la cité des cheminots. Le premier a lieu dans la nuit du 20 au 21 avril 1944, d’autres suivront, lequel t’a privé de ta belle couleur châtain et de la grande maison de briques rouges ? La demeure reconstruite sur les ruines est habitée par tes enfants et toi au fond du jardin dans une maison plus modeste, tu vis seule maintenant.
Paix -Tu te souviens des années douces, entre les deux guerres, quand ton café bruissait des présences, des chocs de vaisselles, des mouvements de chaises et des voix. Tu aimes employer ton énergie à cette routine, les verres à laver, le comptoir doit briller, servir le café, la bière, le vin.Tu sais tranquillement t’imposer, tu peux repousser les ivrognes et recueillir les confidences avec la bienveillance contenue dans ton sourire.
Amour – Toi et ton Hyacinthe, le géant, malgré ta belle taille tu parais fluette à ses côtés. Hyacinthe au béret marron qui parcourt la région pour bâtir les grandes cheminées des usines, les beffrois du travail. La grande maison de briques rouge est aussi pension de famille pour accueillir les ouvriers entre deux chantiers, une famille rude. Parle-t ’on de toi comme d’une maîtresse femme ?
Fleurs – Ton jardin, les lapins, les poules et toutes ces fleurs désuètes, dahlias pompons, rosiers-buissons, glaïeuls, pensées, reines-marguerites, ipomées. Chaque matin, tu en fais le tour pour retirer les fleurs fanées, redresser une mauve en détresse ou déraciner un pissenlit. Tu te promènes maintenant dans un autre jardin, et tu répètes inlassablement chaque matin, chaque soir, t’as d’biaux hortensias m’fil.
Chti – M’fil, ma fille, un de ces mots abrégés, concaténés, prononcés de ta voix rauque et voilée qui parle une langue chuintante, ton mélange personnel de chti et de flamand, tu chantes aussi, te m’fras du chagrin si te n’dors point ch’qu’à d’main, c’est rugueux et tendre à la fois.
Nom – Ton nom de famille est nom commun, parent.
Beaucoup de douceur dans ce portrait, dans ces textes que j’ai lus plusieurs fois, dont une sans les « titres ». J’en ai alors vraiment apprécié la mélodie.
Merci pour votre lecture et ce retour sur les titres, il est précieux d’être lu pour avancer.