Tu étais mort à cause de la mine. Pas plus de détails. Histoire de famille bien concave. Alors l’envie de creuser, pioches, pelles, pics, lampes à huile. Connaître ton corps d’aïeul, ce corps d’ailleurs, jamais connu, juste pendu. Salle des pendus, ironie du sort. Vestiaires de ta vie. Il ne reste qu’une immuable photo sur le meuble Mado. Jamais un mot sur cette image. Tu es là, on ne dit rien. Ou presque. Quelques coups de marteau piqueur pour ouvrir un peu la mine du secret. Entendu quelques fois : il était alcoolique. Entendu aussi : il frappait. Femme, enfants. Entendu souvent : la mine l’a tué. Mais comment ? Plusieurs versions ont cohabité dans l’esprit de l’enfant qui cherchait à savoir. Pendu à l’arbre vers la rivière. Rectificatif. Dans le garage. Peut- être même la cave. Salle de pendus. Accepter de ne pas vraiment savoir. Il y a aussi l’hôpital psychiatrique, et les fugues. S’échappait de là-bas, il n’avait plus de lieu, une fois sorti de sa mine quotidienne. Comment c’était, dans la mine ? Pour imaginer il n’y avait que les visites au musée. On visite le musée de la mine au moins quatre fois dans sa scolarité, c’est la sortie incontournable, le spectacle du coin. Le petit train se fait attraction, l’ascenseur manège à sensation, c’est pas juste. Tu n’y es pas, tu n’y es plus, tu ne m’as pas attendue. C’était pas drôle, avant. Aujourd’hui, on visite une mine reconstruite pour faire vrai, on met un casque, pour faire immersion. Mais un casque propre, désinfecté, lustré. Playmobil de la mine. Elle n’avait jamais joué aux Playmobil, jamais compris son frère qui y passait des heures, elle y mettait un gros coup de pieds dans ces histoires pour de faux. Jamais vraiment cru à ces visites de mine pour sortie scolaire. Et puis elle a entendu une fois que c’était pas cette mine là où il descendait, alors elle fut en colère. Le tunnel est un faux, une reconstitution. Ses appels résonnent dans le creux de la mine en carton-pâte. Comment était-il, le tien, de tunnel ? Quel sombre souterrain de ton existence cherche-t-on à cacher avec autant d’application ? Toutes ces dissimulations la hantaient, elle en avait voulu au père. Il n’y était pour rien, s’il n’arrivait pas à raconter, être fils de pendu c’est trop dur pour lui, il ne répondra pas, il ne peut pas parler, ça lui serre la gorge. Elle se débrouille, elle cherche la mine. Tu ne peux pas m’aider, ta voix je ne peux que l’imaginer, une voix rauque d’alcoolique usé par la mine, une voix cliché, une voix de film en noir et blanc. C’est sûr que ce n’est pas la bonne voix mais tu n’as laissé aucune trace, aucun enregistrement. Rien. Bassin réorganisé en 1956, source Wikipédia, elle n’a que ça. Tu n’étais pas mort en 56, tu devais y travailler, y descendre ? Lampe frontale, pelle, pioche. Fin de l’activité du bassin en 1983, là tu étais mort depuis dix ans. Ça colle. Mais il y a encore sept lieux. Elle opte pour le plus proche, tu y vas à pieds, avec ton gandot. Peut-on dire qu’un gandot ait une saveur ? Y avait quoi dedans ? Sûrement des patates, tu ne peux pas répondre, mais c’est logique qu’il y ait des patates, épluchées sans amour. Est-ce que tu l’aimais ? Entendu que les petits derniers de la famille, ils étaient pas vraiment voulus. Non, elle ne peut pas imaginer plus avant. Fin de l’activité minière en 68 . Vous savez qu’il sera peut-être incarcéré à la prison de T., lui explique la gendarme. Les lieux et les époques se croisent dans les malaises. Peut-être ça que tu n’as pas supporté? La fermeture de ton souterrain quotidien. Alors on a dû te proposer une autre mine, sans les copains, plus loin. Fallait monter en bus. Ça n’a pas duré cette histoire, ton souterrain devint celui de l’asile, comme on dit. Le pendu. Il ne reste que ça de ta définition. L’ombre du mineur lui creuse encore le corps, gorge serrée. Elle la malaxe avec le bout des doigts pour s’endormir.
Fondateur ce texte, écrit vite comme d’habitude (ça se sent dans les temps des verbes; quand on réfléchit on est sans cesse à mêler présent et passé) , je n’avais même pas encore vu qu’il y avait une P8.
Bravo !
Merci Danièle pour ta lecture !
Décidément, j’aime votre univers – Peut-être parce que depuis quelques années, je travaille dans les hauts de France – Des résonances avec des auteurs que j’ai découverts là bas – Sorj Charandon, Edouard Louis, Sophie Chauveau, etc.
Merci pour vos images et votre sensibilité, l’extrême détail et le rythme.
Merci pour ces échos aux textes du coin que j aime beaucoup et votre lecture enthousiaste…oui il y a des coins qui résonnent….
toute cette curiosité qui effacerait presque la tendresse (pourtant moteur de notre quête) que nous avons pour ces vies dures qui nous ont précédé et les conditions de ces vies… et là la mine (moi il y a des calfats, des charrons, des ouvriers agricoles et des bourgeois, la mine ça dépasse…)
Belle évocation/recherche
Merci Brigitte…oui on ne sait pas où placer la tendresses dans ces vies qu’on ne connaît pas….
Y a toujours cette sensation brute, lapidaire, vive, c’est fort
Merci Caroline pour ta lecture et tes mots c’ est précieux comme retour….à très bientôt en zoom🙂
Ce qui frappe, c’est que ça fait vraiment beaucoup pour un seul homme… Et tout de suite, le titre résonne, percute.
Ensuite le texte nous fait glisser dans les interstices de l’histoire, comme une sorte d’enquête entre TU et JE, entre mine et misère. Il nous tient.
Des figures de mon passé me sont aussi revenues en arrière-plan sans que je m ‘en aperçoive.
A bientôt, Marie Caroline
Françoise c est tout à fait ça je n avais pas le recul pour le dire aussi bien..mille mercis pour cette lecture
Je suis tout à fait d’accord avec Françoise. Ces tentatives pour comprendre, comme à tâtons dans le noir, puis ces retours à la surface pour reprendre son souffle. « Accepter de ne pas vraiment savoir. » Mais comment l’accepter ? Me revois beaucoup dans ce texte. Merci, Marie-Caroline !
Merci beaucoup Helena pour ces impressions partagées..oui les talons dans le noir, les mines et ce qu’on ne saura jamais, à la surface et en dessous…