#P8 Le passé compliqué

Il a fallu que tu fusses bien malchanceux à la loterie de l’éducation ou que tu déplusses en haut lieu pour mériter un tel sort. Tu arrivas par un triste jour d’hiver dans cette classe bon enfant, nonchalant, les yeux rieurs d’un bleu azur qui mirent un peu de couleur à cette ambiance morose.

Tu fus à tu et à toi avec chacun, expliquant avec des mots simples, que la langue française renfermait des trésors à condition que tu fusses capable de les entendre. Telle fut l’intention affichée. Tu as demandé où nous en étions dans nos lectures, et chacun s’est exprimé à tour de rôle.

Tu as créé la surprise quand tu parlas des femmes savantes de Molière. Beaucoup n’avaient lu que « Les fourberies de Scapin » ou « Le bourgeois gentilhomme » Beaucoup ont trouvé ça ennuyeux. Alors que dire d’une histoire de femmes intello. Tu étais sérieux là? As-tu oublié qu’il y avait une majorité de mecs boutonneux mal dans leur peau qui se contrefichaient pas mal du QI de ces demoiselles? Au contraire les intellos font peur. surtout quand tu n’as que tu baratin à sortir avec des formules toutes faites, en kit, prêtes à l’emploi. Trois salades-deux tirades et l’affaire est conclue. Enfin pas toujours. Quand tu n’avais ni imagination, ni culture, tu devais te contenter d’expédients.

Tu savais pertinemment que les subtilités de la langue française furent les délices des gourmets des belles tournures et amoureux des bons mots. Maintenant avec les punchlines, pourquoi se compliquer la vie avec Molière et les conversations oiseuses de bourgeoises jacassantes s’écoutant parler?

Oui mais c’était à l’imparfait du subjonctif. Tu as compris l’astuce. Mais Molière n’était pas le seul à l’employer. Il y a eu Proust, celui qui écrivit  » Du côté de chez Swann » Non il n’a pas écrit la chanson éponyme de Dave. Qui a dit ça? Toi?

Mais pour en parler, tu dus d’abord réviser les temps du passé, ceux du bon vieux temps. Ils sont plusieurs, chacun à leur place. Tu connaissais bien sûr le passé composé, celui qui mélangea le temps d’aujourd’hui à celui d’hier. Ensuite il y a eu le passé simple, un temps sans histoire, sans embrouilles, un temps perdu à tout jamais. Puis ce fut au tour du passé antérieur. Non pas le temps d’avant, pas celui de la préhistoire, mais un autre qui mixa le passé simple au passé. Attends ce n’est pas terminé. Tu connaissais l’imparfait. Celui là tu l’as maîtrisé, donc inutile d’y revenir. Et pour finir il y eut le plus-que-parfait. Comme l’imparfait n’était pas parfait pour dire le fond de ta pensée, il s’est accouplé au passé. Simple non? oui tu as compris…il s’est pacsé avec le passé simple.

Tout le monde suit? Il n’y avait plus qu’à ranger les passés dans l’ordre chronologique. Et le subjonctif dans tout ça? il est placé à la suite des autres mais à condition qu’il restât hypothétique, comme un invité de dernière minute. Un passé incertain en somme comme il le fut dans le futur. Tu ne sus jamais quand l’employer sauf lorsque tu l’as vu apparaître sous ta plume. Comment l’as-tu reconnu? Il est toujours placé en fin de que, parfois devant mais souvent derrière.

Quelle rigolade en voyant ta tête quand tu as clamé les vers de Molière à l’imparfait du subjonctif. Tu es content de toi? Tu en as perdu beaucoup en chemin, dégoûté à jamais des belles lettres. Pour quelle résultat? Personne ne parle plus ainsi aujourd’hui. Connaissance dérisoire, savoir obsolète à l’heure des réseaux sociaux, oublié et banni des conversations quotidiennes, à peine toléré des doctes littérateurs, ta rencontre fut pourtant un pur bonheur.

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